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propos. Mais pas un mot de remercîment pour l’homme à qui elle doit l’occasion de briller ! Dans la lettre suivante, elle craint que, tout méchant que je suis, son amie ne soit forcée de me prendre pour son seigneur et son maître . Véritablement, c’est mon espérance. Elle rétracte tout ce qu’elle a dit contre moi dans sa dernière lettre. Ma conduite à l’égard de mon bouton de rose ; le dessein d’établir son amie dans la maison de Madame Fretchville, tandis que je continuerai de demeurer chez Madame Sinclair ; l’établissement que j’ai dans ma province, mes reversions, mon économie, ma personne, mes talens, tout est rappelé en ma faveur, pour lui faire perdre la pensée de me quitter. Que j’aime à jeter dans l’embarras ces filles pénétrantes ! puisse la vengeance éternelle me poursuivre,

(heureusement qu’elle ne dit pas m’atteindre ) si je lui donne lieu de douter de mon honneur ! Les femmes ne savent pas jurer, Belford. Les douces créatures ! Elles ne savent que maudire. Elle lui apprend le mauvais succès de sa négociation du côté de l’oncle Jules. C’est sans doute Hickman qu’elles ont employé. Il faut que j’aie les oreilles de ce benêt-là dans ma poche ; et bientôt, crois-moi. elle est furieuse, dit-elle, contre toute la famille. Le crédit de Madame Norton n’a pas eu plus d’effet sur Madame Harlove. Jamais il n’y eut dans le monde des brutes si déterminées. Son oncle Antonin la croit déjà perdue . N’est-ce pas tout à la fois un reproche et une exhortation pour moi ? ils s’attendaient à la voir revenir à eux dans l’affliction ; mais ils ne feraient pas un pas pour lui sauver la vie. ils l’accusent de préméditation et d’artifice . Miss Howe est inquiéte , dit-elle, de la vengeance à laquelle mon orgueil peut me porter, pour la distance où l’on me tient . Elle a raison. il ne reste à présent qu’un choix à son amie ;

car son cousin paraît déclaré contr’elle avec tous les autres ; et ce choix, c’est de se donner à moi. La nécessité, la convenance lui en font une loi presque égale . Ton ami, cher Belford, Lovelace choisi d’une femme par des raisons de convenance ! Ah ! Lovelace est-il capable de soutenir cette idée ? J’ai de grands usages à faire de cette lettre. Les ouvertures de Miss Howe sur ce qui s’est passé entre l’oncle Jules et Hickman, (ce ne peut être un autre qu’Hickman) me donneront lieu de déployer mon invention. Elle lui dit qu’elle ne peut lui révéler tout. Il faut absolument que je parvienne à lire moi-même cette lettre. Il faut que j’en voie les propres termes. Des extraits ne me suffisent pas. Si je l’ai une fois entre les mains, ce sera la boussole de toute ma conduite. Le feu de l’amitié éclate et pétille ici. Je n’aurais jamais cru qu’une amitié si chaude pût subsister entre deux femmes. Mais elle est peut-être enflammée par les obstacles, et par cette sorte de contradiction qui anime des esprits femelles, lorsqu’ils ont le tour romanesque. Elle extravague en parlant de son départ ; si cette démarche, dit-elle, pouvait épargner des bassesses à une ame si noble, ou la sauver de sa ruine . C’est un roseau qui entreprend d’en soutenir un autre. Ces jeunes créatures sont un peu frénétiques dans leurs amitiés. Elles ne savent pas ce que c’est qu’un feu durable. Mais comment se fait-il que l’ardeur de cette virago ne laisse pas de me plaire, quoique j’en aie beaucoup à souffrir. Si je la tenais ici, j’engagerais