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raison causât quelque délai, je profite d’une occasion extraordinaire pour faire porter cette lettre chez Wilson. Jamais je n’ai douté de la justice et de la générosité de votre personnage, sur ce qui concerne les articles, et tous ses parens n’ont pas les sentimens moins nobles que leur naissance. Mais à présent, je crois que vous ne ferez pas mal d’attendre quelle sera la réponse de milord à sa lettre d’invitation. Voici le plan que j’ai médité pour vous. Ne vous souvenez-vous pas d’avoir vu avec moi, une femme, nommée Madame Towsend , qui fait un grand commerce d’étoffes des Indes, de toilles de Cambrai, et de dentelles de Flandres, qu’elle trouve le moyen de recevoir sans payer d’entrées, et de débiter secrètement dans toutes les bonnes maisons de votre voisinage ? Elle est alternativement à Londres, dans une chambre qu’elle y loue à l’extrémité du faubourg de Southwarck, où elle a des échantillons de ses marchandises, pour la commodité de ses pratiques de ville. Mais sa véritable résidence et son magasin sont à Depfort . Je dois sa connaissance à ma mère, à qui elle avait été recommandée dans la supposition de mon mariage, et qui me dit, en me la présentant, qu’avec le secours de cette femme, je pourrais être magnifique à peu de frais. Au fond, ma chère, je n’ai pas trop de penchant à favoriser la contrebande. Il me semble que c’est braver les loix de notre pays, nuire aux honnêtes marchands, et dérober à notre prince un revenu légitime, dont la diminution peut l’obliger à faire de nouvelles levées sur le public. Mais, quoique je n’aie encore rien pris à Madame Towsend, nous ne sommes pas mal ensemble. C’est une femme entendue, et d’un fort bon caractère. Elle a vu les pays étrangers, par rapport à son commerce, et je trouve beaucoup de plaisir à l’entendre. Comme elle cherche à se faire connaître de toutes les jeunes personnes qui ne sont pas éloignées de changer d’état, elle m’a priée de la recommander à vous ; et je suis sûre que je l’engagerais sans peine à vous accorder une retraite dans sa maison de Depfort. C’est un bourg qu’elle représente fort peuplé, et peut-être un des lieux du monde où l’on penserait le moins à vous chercher. Il est vrai que la nature de son commerce ne lui permet pas d’y être long-temps : mais on ne saurait douter qu’elle n’y ait quelque personne de confiance. Vous y seriez en sûreté jusqu’au retour de M Morden. Il me semble que vous feriez fort bien d’écrire d’avance à cet honnête cousin. Ce n’est point à moi de vous prescrire ce que vous devez lui marquer. Je me repose sur votre discrétion ; car vous comprenez sans doute ce qu’il y aurait à craindre du moindre démêlé entre deux hommes de cœur. J’apporterai de nouveaux soins à digérer ce plan, si vous l’approuvez, ou plutôt, si vous le jugez nécessaire. Mais il faut espérer que vous n’aurez pas besoin de cette ressource, puisque la perspective est changée, et que vous avez connu vingt-quatre heures qui ne peuvent pas être nommées malheureuses . Que je me sens indignée de voir une fille telle que vous réduite à cette misérable consolation ! Je me souviens que Madame Towsend a deux frères qui commandent chacun un vaisseau marchand. Comme ils ne peuvent manquer d’être liés d’intérêt avec elle, qui sait si vous ne pourriez pas avoir, au besoin, tout l’équipage d’un vaisseau à votre service ? Supposé que Lovelace vous donne sujet de le quitter, ne vous occupez point de vos craintes