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étant gardés si soigneusement, ne sois pas surpris que j’aie fait si peu de progrès dans l’épreuve. Mais quel aiguillon que cette cruelle distance ! Encore une fois, jeudi matin nous fûmes fort heureux. Vers midi, elle compta le nombre des heures qu’elle avait passées avec moi. Ce tems ne m’avait paru qu’une minute ; mais elle me témoigna qu’elle souhaitait d’être seule. Je me fis presser ; et je ne cédai qu’après avoir remarqué que le soleil commençait à se couvrir de quelques nuages. J’allai dîner chez un ami. à mon retour, je parlai de maison et de Madame Fretchville. J’avais vu Mennell ; je l’avais pressé de faire entendre raison à la veuve. Elle marqua beaucoup de compassion pour cette dame ; autre effet de la conversation qu’elle avait entendue. Je ne manquai pas de lui dire aussi que j’avais écrit à mon oncle, et que j’attendais bientôt sa réponse. Elle me fit la grâce de m’admettre à souper. Je lui demandai ce qu’elle pensait de mes articles. Elle me promit de s’expliquer aussitôt qu’elle aurait reçu des nouvelles de Miss Howe. Je lui proposai alors de m’accorder sa compagnie, samedi au soir, à la comédie. Elle me fit les objections que j’avais prévues, les projets de son frère, le temps qui était fort chaud, etc., mais d’un ton qui paroissait modéré par la crainte de me désobliger : autre effet charmant de la conversation. Elle passa par conséquent sur ses propres difficultés, et j’obtins la grâce que je demandois. Vendredi n’a pas été moins tranquille que le jour d’auparavant. Voilà deux jours que je puis nommer heureux. Pourquoi tous les autres ne leur ressemblent-ils pas ? Il semble que cela dépende de moi. C’est une chose étrange, que je prenne plaisir à tourmenter une femme que j’aime uniquement ! Il faut que j’aie dans le caractère quelque chose de semblable à Miss Howe, qui se plaît à faire enrager son malheureux Hickman. Cependant je ne serais pas capable de cette dureté pour un ange tel que Clarisse, si je n’étais résolu, après le temps de l’épreuve, de la récompenser au-delà de ses désirs. Samedi est à moitié passé. Notre bonheur dure encore. On se prépare pour la comédie. Polly s’est offerte. Elle est acceptée. Je l’ai avertie des endroits où elle doit pleurer, non-seulement pour faire connaître la bonté de son cœur, dont les larmes sont toujours une bonne marque, mais encore pour avoir un prétexte de cacher son visage avec son éventail ou son mouchoir ; quoique Polly, dans le fond, soit bien éloignée d’être une fille publique. Nous serons dans la loge verte. Les douleurs d’autrui, si bien représentées, ne manqueront point d’ouvrir le cœur de ma charmante. Lorsque j’ai obtenu d’une jeune personne la permission de l’accompagner à la comédie, je me suis toujours cru sûr de la victoire. Le cœur des femmes, pétri de douceur et d’harmonie, lorsque rien ne le gêne, s’étend et perd le soin de s’observer à mesure que leur attention est attirée au dehors par un amusement qui les intéresse. La musique, et peut-être une collation qui succède, ont aussi leur part à cet effet. Je n’espère ici rien d’approchant. Mais j’ai plus d’une vue dans l’empressement avec lequel j’ai proposé la comédie à ma chère Clarisse. Pour t’en apprendre une, Dorcas a le passe-par-tout, comme je te l’ai déjà dit. Tu comprends l’usage qu’elle en fera dans notre absence. à présent ne crois-tu pas qu’il soit important de faire voir à ma belle une