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marques auxquelles on pourrait le reconnaître, afin qu’au besoin toute la maison pût s’armer contre lui : " un matelot fort maltraité de la petite vérole, le teint brûlé, le regard mauvais, haut d’environ six pieds, les sourcils pendans, les lèvres écorchées, comme d’un reste de scorbut ; avec un couteau qu’il portait ordinairement au côté, une casaque brune, un mouchoir de toile peinte autour du cou, un bâton de bois de chêne dans la main, presque de sa longueur, et d’une grosseur proportionnée ". Il ne fallait pas répondre un mot à toutes ses questions. Il fallait m’appeler sur le champ, et empêcher, s’il était possible, que mon épouse n’en eût la moindre connaissance. J’ajoutai que, si son frère ou Singleton, se présentaient, je les recevrais civilement pour l’amour d’elle ; et qu’alors elle n’aurait qu’à reconnaître son mariage ; après quoi, il ne resterait de part et d’autre nul prétexte pour la violence. Mais je jurai, dans les termes les plus furieux, que, si malheureusement elle m’était enlevée par la persuasion ou par la force, j’irois, dès le lendemain, la demander chez son père, soit qu’elle y fût ou qu’elle n’y fût pas ; et que, si je ne trouvais pas la sœur, je saurais trouver le frère, et m’assurer aussi facilement que lui d’un capitaine de vaisseau. à présent, Belford, crois-tu qu’elle entreprenne de me quitter, quelque conduite que je puisse tenir avec elle ? Madame Sinclair a si bien contrefait l’air tremblant, elle a paru si effrayée des désastres qui pouvaient arriver dans sa maison, que j’ai commencé à craindre qu’elle n’outrât son rôle, et qu’elle ne détruisît mon ouvrage. Je lui ai fait signe de l’œil. Elle m’en a fait un de la tête pour marquer qu’elle m’entendoit. Elle a baissé le ton ; et passant une de ses lèvres sur l’autre, avec ses minauderies ordinaires, elle est demeurée en silence. Voilà des préparatifs, Belford. Crois-tu que tes raisonnemens et tous les proverbes de Milord M soient capables de m’y faire renoncer ? non sûrement ; comme dit ma charmante, lorsqu’elle veut exprimer son aversion pour quelque chose. Et quel doit être nécessairement l’effet de toutes ces ruses, pour la conduite de ma belle avec moi ? Peux-tu douter qu’elle n’ait été d’une complaisance achevée, dès la première fois qu’elle m’a fait l’honneur de me recevoir ? Jeudi fut un jour très-heureux. Il ne manqua rien à notre bonheur le matin. Je baisai sa main charmante. Tu n’as pas besoin que je te fasse la description de ses mains et de ses bras. Lorsque tu l’as vue, j’ai remarqué que tes yeux y étoient fixés, aussitôt qu’ils pouvaient abandonner les rares beautés qui composent son visage. Je baisai donc sa main ; environ cinquante fois si j’ai bien compté. J’allai une fois jusqu’à ses joues, dans le dessein de parvenir à ses lèvres ; mais avec un transport si vif, qu’elle en parut fâchée. Si ses soins n’étoient pas continuels pour me tenir ainsi à la longueur du bras : si les plus innocentes libertés auxquelles notre sexe aspire par degrés, ne m’étoient pas refusées avec une rigueur insupportable, il y aurait long-temps que nous serions un peu plus familiers. Si je pouvais seulement obtenir quelque accès près d’elle, à sa toilette, ou dans son déshabillé ; car l’air de dignité augmente dans une femme vêtue, et fortifie le respect : mais on ne peut la retenir si tard, ni la surprendre si matin, qu’elle ne soit toujours dans la dernière décence. Tous ses trésors