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M Lovelace, à M Belford.

samedi 20 de mai. Il faut te faire la peinture de notre situation. Grands et petits, nous sommes tous extrêmement heureux. Dorcas est dans les bonnes grâces de sa maîtresse. Polly lui a demandé son conseil sur une proposition de mariage qui la regarde : jamais oracle n’en donna de meilleur. Sally, à l’occasion d’une petite querelle avec son marchand, a pris ma charmante pour arbitre. Elle a blâmé Sally de tenir une conduite tyrannique avec un homme dont elle est aimée. Chère petite personne ! être devant le miroir, et fermer les yeux, dans la crainte de s’y reconnaître ! Madame Sinclair a fait sa cour à un juge si infaillible, en lui demandant son avis sur le mariage de ses deux nièces. Nous sommes sur ce pied depuis plusieurs jours, avec les gens de la maison. Cependant on mange toujours seule. On ne leur accorde pas souvent l’honneur de sa compagnie dans les autres tems. Ils sont accoutumés à sa méthode. Ils ne la pressent point. C’est la persévérance qui l’emportera. Lorsqu’on se rencontre, tout se passe fort civilement de part et d’autre. Je crois, Belford, que, dans le mariage même, on éviterait quantité de querelles, si l’on se voyait rarement. Mais, comment suis-je moi-même, avec la belle, depuis ce brusque départ et ce refus incivil de mercredi matin ? C’est ta demande, n’est-ce pas ? En vérité, fort bien, mon ami. Pourquoi serais-je mal avec elle ? La chère petite impertinente n’a point de secours à tirer d’elle-même. Elle n’a pas d’autre protection à se promettre. D’ailleurs, elle a pleinement entendu (qui se serait défié qu’elle pût être si proche ?) une conversation que j’eus le même jour avec Madame Sinclair et Miss Martin ; et son cœur en est devenu plus tranquille sur divers points douteux. Tels sont particulièrement : le malheureux état de Madame Fretchville. La pauvre femme ! Miss Martin, feignant de la connaître, ne manque point de la plaindre fort humainement. Elle et le mari qu’elle a perdu s’étoient aimés dès le berceau. La pitié se communique d’un cœur à l’autre. Il est impossible que toutes les circonstances d’une si grande douleur, représentées par une fille aussi tendre que Miss Martin, n’aient pas fait une extrême impression sur ma bien-aimée. La goutte de Milord M seul obstacle qui l’empêche de venir marquer sa tendresse à mon épouse. Le départ de Milady Lawrance et de Miss Montaigu, qu’on attend bientôt à Londres. La passion que j’aurais de voir mon épouse en état de les recevoir dans sa propre maison, si Madame Fretchville pouvait être un moment d’accord avec elle-même. L’intention où je suis, malgré cela, de demeurer chez Madame Sinclair, dans la seule vue de satisfaire jusqu’au moindre article la délicatesse de mon épouse. Ma tendresse infinie pour elle, que je représentai d’un ton fort ardent, comme la plus sincère et la plus pure passion qu’un homme ait jamais ressenti pour une femme.