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toute la famille, plutôt que de voir M Solmes… plutôt que de me donner la moindre espérance ?

Cruelle alternative ! Mais, madame ! La sincérité, l’intégrité de mon cœur, ne sont-elles pas intéressées dans ma réponse ? Ne peut-elle pas entraîner le sacrifice de mon bonheur éternel ? La moindre ombre de l’espérance que vous me demandez ne sera-t-elle pas changée aussi-tôt en certitude absolue. Ne cherche-t-on pas à m’embarrasser dans mes propres réponses, pour en conclure que je suis disposée à la soumission, sans le savoir moi-même ? Hélas ! Je vous demande pardon, madame ! Pardonnez la hardiesse de votre fille dans une si importante occasion. Des articles dressés ! L’ordre donné pour les étoffes ! Le temps abrégé ! Chère, chère madame, comment puis-je donner des espérances, et ne pas vouloir être à cet homme-là. Ah ! Ma fille, ne dites plus que votre cœur soit libre. Vous vous trompez vous même, si vous le pensez.

Un vif sentiment d’impatience m’a fait tordre mes mains. Faut-il me voir ainsi poussée par l’instigation d’un frère ambitieux, et par une sœur qui… combien de fois, Clary, vous ai-je défendu des réflexions qui blessent la bonté de votre naturel ? Votre père, vos oncles, tout le monde enfin ne soutient-il pas M Solmes ? Et je vous répéterai, fille ingrate, fille aussi inflexible qu’ingrate, qu’il est évident pour moi-même, qu’une résistance si opiniâtre, dans une jeune personne qui a toujours été si obéissante, ne peut venir que d’un amour indigne de votre prudence. Vous pouvez deviner quelle sera la première question de votre père à son retour. Il faut qu’il soit informé que je n’ai pu rien obtenir de vous. J’ai fait mon rôle. C’est à vous à me chercher, si votre cœur change avant son arrivée. Comme il s’arrête à souper, vous avez quelques heures de plus. Je ne vous chercherai plus ; je ne vous ferai plus chercher. Adieu.

Elle m’a quittée. Qu’ai-je pu faire que de pleurer ?

Il est certain que je suis plus vivement touchée pour l’intérêt de ma mère que pour le mien ; et, tout considéré, sur-tout lorsque je fais réflexion que les mesures dans lesquelles elle est engagée, sont, j’ose le dire, contraires à son propre sentiment, elle mérite plus de compassion que moi-même. Excellente femme ! Quelle pitié, que sa douceur et sa condescendance n’obtiennent pas les égards dûs à tant de grâces et de charmes ! Si elle n’avait pas laissé prendre, comme je l’ai déjà observé à regret, tant d’ascendant sur elle à des esprits violens, tout en iroit bien mieux pour elle et pour moi. Mais, tandis que je me laisse entraîner ici par ma plume, je souffre que cette chère mère soit fâchée contre moi, dans les craintes dont elle est remplie pour elle-même. Elle m’a dit, à la vérité, que je devais la chercher, si je changeais de résolution ; et cette condition est l’équivalent d’une défense. Mais, comme elle m’a laissée dans un vif chagrin, ne serait-ce pas marquer de l’obstination, et faire entendre que je renonce au secours de sa médiation, que de ne pas descendre avant le retour de mon père, pour implorer sa pitié et sa faveur dans le récit qu’elle lui prépare ? Je veux me présenter à sa porte. J’aimerais mieux que le monde entier fût en colère contre moi, que maman.

En même-tems, pour ne conserver près de moi aucun écrit de cette