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cœur endurci contre mes larmes. Mon père peut demeurer inflexible. Je puis souffrir de l’ambition de mon frère et de la jalousie de ma sœur. Mais que je ne perde pas l’amour de ma mère ; au moins, tout au moins sa pitié. Elle s’est tournée vers moi, avec des regards plus propices. Vous avez ma tendresse. Vous avez ma pitié, mais, ô très-chère fille ! Je n’ai pas la vôtre.

Hélas ! Madame, vous l’avez. Vous avez aussi tout mon respect ; vous avez toute ma reconnaissance ; mais dans ce seul point… ne puis-je être obligée cette fois seulement ? N’y a-t-il aucun expédient qu’on veuille accepter ? N’ai-je pas fait une offre raisonnable… je souhaiterais, pour notre intérêt commun, fille trop chère et trop obstinée, que la décision de ce point dépendît de moi. Mais, pourquoi me presser et me tourmenter, lorsque vous savez si bien qu’elle n’en dépend pas ? L’offre de renoncer à M Lovelace n’est que la moitié de ce qu’on désire. Et d’ailleurs personne ne la croira sincère, quand j’en aurais moi-même cette opinion. Aussi long-temps que vous ne serez pas mariée, M Lovelace conservera des espérances, et suivant l’opinion des autres, vous conserverez de l’inclination pour lui.

Permettez-moi, madame, de vous représenter que votre bonté pour moi, votre patience, l’intérêt de votre repos, ont plus de poids dans mon cœur que tout le reste ensemble. Quoique je sois traitée par mon frère, et à son instigation, par mon père, comme la dernière des esclaves, et non comme une fille et une sœur ; mon ame n’est pas celle d’une esclave. Vous ne m’avez pas élevée dans des sentimens indignes de vous.

Ainsi, Clary, vous voilà déjà disposée à braver votre père. Je n’ai eu que trop de sujet d’appréhender tout ce qui arrive. à quoi tout ce désordre aboutira-t-il ? Je suis (en poussant un profond soupir,) je suis forcée de m’accommoder à bien des humeurs.

C’est ma douleur, ma respectable maman de vous voir dans cette triste nécessité. Et peut-on se persuader que cette considération même, et la crainte de ce qui peut m’arriver de pire encore, de la part d’un homme qui n’a pas la moitié du jugement de mon père, ne m’ait pas extrêmement prévenue contre l’état du mariage ? C’est une sorte de consolation, lorsqu’on est exposé à des contradictions injustes, de les recevoir du moins d’un homme de sens. Je vous ai entendu dire, madame, que mon père avait été long-temps d’une humeur fort douce, sans reproche dans sa personne et dans ses manières. Mais l’homme qui m’est proposé… gardez-vous de faire tomber vos réflexions sur votre père. (trouvez-vous, ma chère, que ce que je viens de dire, car ce sont mes propres termes, eût l’air de réflexion sur mon père ?) il est impossible, je ne cesserai pas de le répéter, a continué ma mère, que si votre indifférence était égale pour tous les hommes, vous fussiez si opiniâtre dans vos volontés. Je suis lasse de cette obstination. La plus inflexible fille ! Vous oubliez qu’il faut que je me sépare de vous, si vous n’obéissez pas. Vous ne vous souvenez plus que c’est à votre père que vous aurez à faire, si je vous quitte. Encore une fois, pour la dernière, êtes-vous déterminée à braver le ressentiment de votre père ? êtes-vous déterminée à braver vos oncles ? Prenez-vous le parti de rompre avec