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ont rendue jusqu’à présent si heureuse ! ô non, non, n’en rendez pas le reste misérable.

Votre père, m’a-t-elle répondu, est dans la résolution de ne pas vous voir, jusqu’à ce qu’il retrouve en vous une fille obéissante, telle que vous l’avez toujours été. Songez que c’est mon dernier effort. C’est le dernier, songez-y bien. Donnez-moi quelque espérance, ma chère fille. Mon repos y est intéressé. Je composerai avec vous pour une simple espérance. Et votre père néanmoins demande une soumission implicite, une soumission même de bonne grâce ! Ma fille, donnez-moi du moins l’espérance.

Ah ! Ma très-chère mère, ma très-indulgente mère, ce serait tout accorder. Puis-je avoir de la foi, et donner des espérances qu’il m’est impossible de confirmer ?

Elle a paru fort en colère. Elle a recommencé à m’appeler perverse . Elle m’a reproché de n’avoir égard qu’à mes propres inclinations, et de ne respecter ni son repos ni mon devoir. Il était bien agréable, m’a-t-elle dit, pour des parens qui avoient fait leurs délices d’une fille pendant son enfance, et qui s’étoient attachés à lui donner une excellente éducation, dans l’attente de lui trouver un jour de justes sentimens de reconnaissance et de soumission, de ne voir arriver néanmoins le temps qui devait couronner leurs désirs, que pour la trouver opposée à son propre bonheur et à leur satisfaction, pour lui voir refuser l’offre d’un riche et noble établissement, et pour faire soupçonner à ses amis inquiets qu’elle veut se jeter entre les bras d’un libertin qui a bravé sa famille, qu’elle qu’en ait pu être l’occasion, et qui a trempé ses mains dans le sang de son frère ?

Cependant lorsqu’elle avait remarqué mon dégoût, elle avait plaidé plus d’une fois en ma faveur, mais sans aucune apparence de succès. Elle avait été traitée comme une mère trop passionnée, qui, par une blâmable indulgence, voulait encourager un enfant à s’opposer aux volontés d’un père. On lui avait reproché de former deux partis dans la famille ; elle et la plus jeune de ses deux filles, contre son mari, ses deux frères, son fils, sa fille aînée et sa sœur Hervey. On lui avait dit que, le démêlé de mon frère et de M Lovelace à part, elle devait être convaincue de l’avantage qui revenait à toute la famille, de l’exécution d’un contrat duquel tant d’autres contrats dépendoient. Elle m’a répété que le cœur de mon père y était tout entier ; qu’il aimait mieux, comme il l’avait déclaré, se voir sans fille, que d’en avoir une dont il ne pût pas disposer pour son propre bien, sur-tout lorsque j’avais reconnu que mon cœur était libre, et lorsque le bien général de toute la famille était attaché à mon obéissance ; que les fréquentes douleurs de sa goutte, dont chaque accès devient plus menaçant de jour en jour, ne lui faisaient plus envisager beaucoup de bonheur dans le monde, et ne lui promettaient pas même une longue vie ; et qu’il espérait que moi, qu’on supposait avoir contribué à prolonger celle de son père, je ne voudrais pas, par ma désobéissance, abréger la sienne.

Cette partie du plaidoyer, ma chère, étoit sans doute la plus touchante. J’ai pleuré en silence sur mes propres réflexions. Je ne me sentais pas la force de répondre. Ma mère a continué : " quels pouvaient donc être ses motifs dans l’empressement qu’il avait pour l’exécution de ce traité, si ce n’était l’honneur et l’agrandissement de sa famille, qui jouissant