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je vous ai déjà dit que je tiens un peu de la famille de mon père, aussi-bien que de celle de ma mère. D’ailleurs, suis-je donc encouragée à suivre implicitement l’exemple de ma mère, dans sa résignation continuelle aux volontés d’autrui ? N’est-elle pas obligée à jamais, comme elle a bien voulu me l’insinuer elle-même, de prendre le parti de la patience ? Elle ne vérifie que trop votre observation, que ceux qui souffrent beaucoup auront beaucoup à souffrir . Que n’a-t-elle pas sacrifié à la paix ? C’est elle-même qui le dit. Cependant a-t-elle obtenu, par ses sacrifices, cette paix qu’elle est si digne d’obtenir ? Non, je vous assure ; et le contraire est tout ce que j’appréhende. Combien de fois ai-je pensé, à son occasion, que, par nos excès d’inquiétude pour conserver sans trouble les qualités que nous aimons naturellement, pauvres mortels que nous sommes ! Nous perdons tout l’avantage que nous nous proposons d’en tirer nous-mêmes, parce que les intrigans, qui découvrent ce que nous craignons de perdre, tournent leurs batteries vers ce côté foible ; et se faisant une artillerie (si vous me passez toutes ces expressions) de nos espérances et de nos craintes, ils la font jouer sur nous à leur gré.

La fermeté d’ame, qualité que les censeurs de notre sexe lui refusent (je parle de celle qui porte sur une juste conviction, car autrement c’est opiniâtreté ; et j’entends aussi, dans les affaires essentielles) est, suivant le docteur Lewin , une qualité qui donne du poids à celui qui la possède, et qui, lorsqu’elle est connue et bien éprouvée, le rend supérieur aux atteintes des vils intrigans. Ce bon docteur m’exhortait à la pratiquer dans les occasions louables. Pourquoi ne croirais-je pas que le temps de l’exercice est arrivé ? J’ai dit que je ne puis et que je ne dois jamais être à M Solmes. Je répète que je ne le dois pas ; car sûrement, ma chère, je ne dois pas sacrifier tout le bonheur de ma vie à l’ambition de mon frère ; sûrement je ne dois pas servir d’instrument pour enlever aux parens de M Solmes leurs droits naturels et leurs espérances de reversion, dans la vue d’agrandir une famille (quoique je lui appartienne) qui est déjà dans l’abondance et dans la splendeur, et qui, après avoir obtenu ce qu’elle désire, pourrait être aussi peu satisfaite de ne pas posséder une principauté, qu’elle l’est aujourd’hui de n’être pas revêtue d’une pairie. Les ambitieux, comme vous l’observez des avares, sont-ils jamais rassasiés de leurs acquisitions ? Il est sûr encore, que je dois entrer d’autant moins dans les avides intentions de mon frère, que je méprise au fond du cœur, le but auquel il aspire, et que je ne souhaite ni de changer mon état, ni d’augmenter ma fortune, parce que j’ai pour principe que le bonheur et la richesse sont deux choses différentes, et qui marchent très-rarement ensemble. Cependant je crains, je redoute extrêmement les combats que j’aurai à soutenir. Il peut arriver que je devienne plus malheureuse par l’observation du précepte général de mon docteur, que par la soumission qu’on exige, puisque ceux qui ont droit d’interpréter ma conduite à leur gré, donnent le nom d’opiniâtreté et de révolte à ce que j’appelle fermeté.

Ainsi, ma chère, fussions-nous parfaits, ce qui ne peut être vrai de personne, nous ne pourrions être heureux dans cette vie, à moins que ceux à qui nous avons affaire, sur-tout ceux qui ont quelque autorité sur nous, ne fussent gouvernés par les mêmes principes. Quel parti faut-il donc prendre, si ce n’est, comme je l’ai déjà remarqué, de bien