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Elle s’est approchée de sa toilette, et se regardant dans le miroir, elle a poussé un demi-soupir ; l’autre moitié, elle l’a filée doucement, comme si la première lui était échappée malgré elle.

Je n’aime point cet air sombre sur le visage d’une jeune fille.

Je vous assure, madame, que ce n’est pas mon dessein. Je me suis levée ; et me tournant tout à fait, j’ai tiré mon mouchoir pour essuyer les larmes que je sentais couler sur mes joues. Une glace, qui se trouvait devant mes yeux, m’a fait reconnaître ma mère, dans un coup d’œil adouci qu’elle a jeté sur moi. Mais ses discours n’ont pas confirmé ce mouvement de tendresse. Une des choses du monde qui irrite le plus, c’est de voir pleurer les gens pour ce qu’il dépend d’eux d’empêcher.

Plût au ciel, madame, que j’en eusse le pouvoir ! Il m’est échappé là-dessus quelques sanglots. Les larmes de regret et les sanglots d’obstination s’accordent fort bien ensemble. Vous pouvez remonter chez vous. Je vous parlerai bientôt. J’ai fait une profonde révérence pour me retirer. Finissez ces démonstrations extérieures de respect. Le cœur, Clary, est ce qui vous manque pour moi. Ah, madame ! Vous l’avez parfaitement. Il n’est pas tant à moi qu’à ma chère maman. Charmant langage ! Si l’obéissance, comme dit quelqu’un, consistait dans les paroles, Clarisse Harlove serait la plus obéissante fille qui respire.

Que le ciel bénisse ce quelqu’un ! Quel qu’il soit, que le ciel le bénisse ! J’ai fait une seconde révérence, et suivant ses ordres, je me suis tournée pour sortir.

Elle a paru fort émue : mais la résolution étoit prise de me quereller. Ainsi, détournant le visage, elle m’a dit d’un ton fort vif, où allez-vous donc, Clarisse Harlove ?

Vous m’avez ordonné, madame, de retourner à ma chambre.

Je vois que vous avez beaucoup d’empressement à me quitter. Est-ce l’effet de votre obéissance ou de votre obstination ? Il me semble que vous êtes bientôt lasse de me voir. Je n’ai pu résister plus long-temps. Je me suis jetée à ses pieds. ô ma chère maman ! Apprenez-moi tout ce que j’ai à souffrir. Apprenez-moi ce qu’il faut que je devienne. Je supporterai tout, si mes forces le permettent ; mais je ne puis supporter le malheur de vous déplaire. Laissez-moi, laissez-moi, Clarisse. Il n’est pas question de cette posture. Les genoux si souples et le cœur si opiniâtre ! Levez-vous. Je ne puis me lever. Je veux désobéir à ma mère, lorsqu’elle m’ordonne de la quitter, sans m’avoir rendu ses bonnes grâces. Ce n’est plus mauvaise humeur ; ce n’est plus obstination : c’est bien pis, puisque c’est désobéissance formelle. Ah ! Ne vous arrachez point de moi (la serrant de mes bras, dont je tenais ses genoux embrassés ; elle, faisant des efforts pour se dégager ; mon visage levé vers le sien, avec des yeux qui n’étoient pas les interprètes fidèles de mon cœur, s’ils ne respiraient pas l’humilité et le respect) ; non, non, vous ne vous arracherez pas de moi (car elle s’efforçait toujours de se retirer, et ses regards se promenaient de côté et d’autre dans un tendre