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regarder comme un parti convenable, un homme pour lequel nous avons tous tant d’aversion. Qu’avez-vous donc à proposer, Clary ? Voyons, quelles sont là-dessus vos idées ?

J’ai compris que c’était une nouvelle épreuve, et j’ai répondu sans hésiter : voici, madame, ce que je propose humblement ; que vous me permettiez d’écrire à M Lovelace (car je n’ai pas fait de réponse à sa dernière lettre) qu’il n’a rien à démêler entre mon père et moi ; que je ne lui demande point de conseil, que je n’en ai pas besoin ; mais que, puisqu’il s’attribue quelque droit de s’inquiéter de mes affaires, parce que les intentions de mon frère, et ses vues pour M Solmes lui déplaisent, je veux bien l’assurer, sans lui donner aucune raison d’expliquer cette bonté en sa faveur, que je ne serai jamais à cet homme là. S’il m’est permis de lui donner cette assurance, et qu’en conséquence les prétentions de M Solmes cessent d’être encouragées ; que M Lovelace soit satisfait ou mécontent, je n’irai pas plus loin : je ne lui écrirai jamais une ligne de plus, et je ne le verrai jamais, si je puis éviter de le voir : les excuses ne me manqueront pas, sans être obligée de compromettre ma famille ".

Ah, mon amour ! Mais que deviendront les offres de M Solmes ? Tout le monde en est charmé. Il fait même espérer à votre frère des échanges de terres ; ou du moins, qu’il nous facilitera de nouvelles acquisitions au nord. Car vous savez que les vues de la famille demandent l’accroissement de nos biens dans ce canton. Votre frère, en un mot, a formé un plan qui éblouit tout le monde. Une famille si riche dans toutes ses branches, et qui tourne ses vues à l’honneur, doit voir, avec beaucoup de plaisir, le chemin ouvert pour figurer un jour avec les principales du royaume.

Et pour assurer le succès de ces vues, pour faire réussir le plan de mon frère, je dois être sacrifiée, madame, à un homme que je ne puis supporter ! ô ma chère maman ! Sauvez-moi, sauvez-moi, si vous le pouvez, du plus grand de tous les maux ! J’aimerais mieux être enterrée toute vive ; oui, je l’aimerais mieux, que d’être jamais à cet homme là.

Elle m’a grondée de ma véhémence ; mais elle m’a dit, avec une bonté extrême, qu’elle hasarderait d’en parler à mon oncle Harlove ; que s’il promettait de la seconder, elle en parlerait à mon père, et que j’aurais de ses nouvelles demain matin. Elle est descendue pour le thé, après m’avoir promis d’excuser ce soir mon absence à l’heure du souper ; et j’ai pris aussi tôt la plume, pour vous faire ce détail. Mais n’est-il pas cruel pour moi, je le répète, d’être obligée de résister à la volonté d’une si bonne mère ? Pourquoi, me suis-je dit bien des fois à moi-même, pourquoi est-il question d’un homme tel que ce Solmes, le seul au monde, assurément, qui pût tant offrir et mériter si peu ?

Hélas ! Son mérite. Ne faut-il pas, ma chère, qu’il ait le plus vil de tous les caractères ? Tout le monde lui reproche une sordide avarice ! Insensé d’avoir l’ame si basse ! Tandis que la différence de réputation entre un homme généreux et un misérable, ne coûte pas, dans une année, cent pistoles bien employées.

Combien ne vous êtes-vous pas fait d’honneur à moindre prix ? Et quelle facilité n’a-t-il pas eue d’acquérir de la réputation à bon marché, lui qui a succédé aux biens immenses d’un aussi méprisable personnage que sir Olivier ? Cependant il a pris une conduite qui lui fait appliquer