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comme vous l’avez déclaré), de donner cette preuve, qui couronnera tout, ou, par des vues d’indépendance (car on n’en portera pas d’autre jugement, Clary, quel que soit votre motif) fondées sur un droit que tout homme que vous favoriserez peut réclamer pour vous, ou plutôt pour lui-même, de rompre avec toute votre famille, et de braver un père jaloux de son autorité ; assez inutilement jaloux, je le dis en passant, de celle de son sexe par rapport à moi ; mais infiniment plus jaloux encore de l’autorité de père. Voilà le point, ma fille. Vous savez que votre père s’en est fait un point. En a-t-il jamais abandonné un, lorsqu’il s’est proposé de l’emporter ?

Hélas ! Il n’est que trop vrai, ai-je dit en moi-même : à présent que mon frère a su engager mon père dans son beau systême, il n’a plus besoin de s’embarrasser du succès. Ce n’est plus à ses avides prétentions, c’est à la volonté de mon père que je m’oppose.

Je suis demeurée sans réponse. Je ne vous cacherai pas que mon silence est venu alors d’obstination. Je me sentais le cœur trop plein. Je trouvais qu’il y avait de la dureté dans ma mère à m’abandonner comme elle le déclarait, et à faire sa volonté de l’humeur impérieuse de mon frère.

Mais ce silence a tourné encore moins à mon avantage. Je vois, m’a dit ma mère, que vous êtes convaincue. Ma chère fille, ma chère Clary, c’est à présent que je vous aime du fond du cœur. On ne saura jamais que vous m’ayez rien contesté. Tout retombera sur cette modestie qui a toujours donné tant de lustre à votre caractère. Vous aurez tout le mérite de votre résignation. J’ai cherché ma ressource dans les larmes. Elle a pris la peine de les essuyer. Elle m’a baisé tendrement les joues. Votre père vous attend, et compte de vous voir une contenance plus gaie. Mais ne descendez point ; je lui ferai vos excuses. Tous vos scrupules, comme vous voyez, ont trouvé en moi une indulgence maternelle. Je me réjouis de vous voir convaincue.

C’est véritablement une preuve que votre cœur est libre, comme vous m’en assurez.

Tous ces discours, ma chère, ne touchent-ils pas à la cruauté, dans une mère néanmoins si indulgente ? Je regarderais comme un crime, de supposer ma mère capable d’artifice. Mais elle reçoit le mouvement d’autrui. Elle est obligée d’employer des méthodes pour lesquelles son cœur a naturellement de l’aversion ; et cela, dans la vue de m’épargner d’autres peines, parce qu’elle voit que tous les raisonnemens ne seront point écoutés.

Je vais descendre, a-t-elle repris, et chercher quelque moyen d’excuser votre retardement, comme j’ai fait avant le dîner ; car je juge qu’il vous restera quelques petites répugnances à surmonter. Je vous les passe, aussi bien qu’un peu de froideur. Vous ne descendrez point si vous ne voulez pas descendre. Seulement, ma chère, ne faites pas déshonneur à mon récit lorsque vous paraîtrez au souper ; et sur tout, prenez vos manières ordinaires pour votre frère et votre sœur, car la conduite que vous tiendrez avec eux rendra témoignage à votre soumission. C’est un conseil d’amie, comme vous voyez, plutôt qu’un ordre de mère. Adieu donc, mon amour. Et paroissant prête à sortir, elle m’a donné encore un baiser.

ô ma chère mère ! Me suis-je écriée, ne m’accablez pas de votre