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tre écoutée dans ses objections. Je suis donc résolue, dans cette troisième visite, d’entendre tout ce que vous avez à me dire. Ma bonté doit vous engager à quelque reconnaissance. Elle doit piquer votre générosité : je veux bien le dire, parce que c’est à vous que je parle, à une fille, dont l’ame est ordinairement toute généreuse. Si votre cœur est réellement libre, voyons à quoi il vous portera pour m’obliger. Ainsi, pourvu que votre langue soit gouvernée par votre discrétion ordinaire, je vais vous écouter. Mais c’est après vous avoir déclaré néanmoins que tout ce que vous pourrez dire sera inutile d’un autre côté.

Quelle affreuse déclaration ! Cependant, madame, ce serait une consolation pour moi de pouvoir obtenir du moins votre pitié.

Soyez sûre de ma pitié, autant que de ma tendresse. Mais qu’est-ce que l’agrément de la personne, Clary, pour une fille de votre prudence, et pour un cœur libre, si le vôtre l’est effectivement ?

Le dégoût des yeux n’est-il rien, lorsqu’il est question d’engager son cœur ? ô madame ! Qui pourrait consentir à se marier, si le cœur doit être blessé à la première vue, et si la plaie doit augmenter ensuite à chaque occasion de se voir ? Comptez, Clary, que c’est un effet de votre prévention. Ne me donnez pas sujet de regretter que la noble fermeté que je vantais dans votre caractère, et que je prenais pour une qualité glorieuse dans une fille de votre âge, soit changée ici en obstination contre votre devoir. N’avez-vous pas fait des objections contre plusieurs… c’était contre leurs principes, madame ; mais M Solmes… est un honnête homme, Clary, une bonne ame, un homme vertueux !

Lui, un honnête homme ! Une bonne ame ! Un homme vertueux !

Personne ne lui refuse ces qualités. Est-ce un honnête homme qui, par les offres qu’il fait à une famille étrangère, dépouille ses propres parens de leurs justes droits ? Songez, Clary, que ces offres sont pour vous, et que vous devriez être la dernière à faire cette observation.

Permettez-moi de dire, madame, que, préférant, comme je fais, le bonheur aux richesses, n’ayant pas même besoin de ce que je possède, en ayant abandonné l’usage par la simple vue du devoir… ne vantez point votre mérite. Vous savez que, dans cette soumission volontaire, il y a moins à perdre pour vous qu’à gagner. Finissons là-dessus. Mais je puis vous assurer que tout le monde n’attache pas un si grand mérite à cette action, quoique, pour moi, j’en aie cette idée, et que votre père et vos oncles l’aient eue aussi dans le tems.

Dans le tems, madame ! Quels indignes offices m’ont donc rendu mon frère et ma sœur, dans la crainte que la faveur où j’étais il n’y a pas long-temps… je ne veux rien entendre contre votre frère et votre sœur. Quelles guerres domestiques me faites-vous envisager, dans un temps où j’espérais toute ma consolation de mes enfans ? Je demande au ciel ses bénédictions pour mon frère et ma sœur, dans toutes leurs entreprises louables. Vous n’aurez pas de guerres dans la famille, si mes efforts sont capable de les prévenir. Vous aurez la bonté, madame, de me dire vous-même ce qu’il faudra que je souffre d’eux, et je le souffrirai. Mais, de grace, que ce soient mes actions qui plaident pour moi, et qu’elles ne soient point exposées à leurs interprétations,