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ouvrir la bouche, et je vous laisserai la liberté de parler : vous n’ignorez pas quel est l’objet des visites de M Solmes.

ô madame !… écoutez-moi, et vous parlerez ; il n’a pas toutes les qualités que je lui souhaiterais ; mais c’est un homme de probité, qui n’a aucun vice… aucun vice, madame ! Ma fille, écoutez-moi. Vous ne vous êtes pas mal conduite à son égard. Nous avons vu avec plaisir… ô madame ! Ne m’est-il pas permis à présent de parler ? Clarisse, j’aurai fini dans un instant. Une jeune fille, aussi vertueuse que vous, ne saurait aimer un libertin. Vous aimez trop votre frère, pour souhaiter d’épouser un homme qui a manqué de lui donner la mort, qui a menacé vos oncles, et qui défie toute la famille. Après vous avoir laissé cinq ou six fois la liberté de choisir, on est bien aise aujourd’hui de vous garantir d’un homme si méprisable. Répondez-moi, j’ai droit de vous faire cette question : préférez vous cet homme à tous les autres ? Mais à dieu ne plaise ! Car vous nous rendriez tous misérables. Cependant dites-moi si vos affections lui sont engagées.

J’ai compris quelles seraient les conséquences de ma réponse, si je disais qu’elles ne l’étoient pas.

Vous hésitez, vous ne me répondez pas ; vous n’osez me répondre : et se levant : non, je ne vous regarderai jamais d’un œil de faveur.

ô madame ! Madame ! Ne m’ôtez pas la vie par le changement de votre cœur. Je n’hésiterais pas un moment, si je ne redoutais ce qu’on ne manquera pas d’insérer de ma réponse. Mais quelque usage qu’on en puisse faire, la menace de vous déplaire me force de parler. Je vous proteste que je ne connais pas mon propre cœur, s’il n’est absolument libre. Eh ! De grace, ma très-chère mère, qu’il me soit permis de vous demander en quoi ma conduite a mérité quelque reproche, lorsqu’on veut me forcer au mariage, comme une créature sans jugement, pour me garantir… hélas ! De quoi ? Je vous conjure, madame, de prendre ma réputation sous votre garde. Ne souffrez pas que votre fille soit précipitée dans un état qu’elle ne désire avec aucun homme du monde ; et cela, parce qu’on suppose qu’autrement elle se marierait elle-même au déshonneur de toute la famille.

Eh bien, Clary, (sans faire attention à la force de ma demande) s’il est vrai que votre cœur soit libre…

ô ma chère mère ! Ne consultez en ma faveur que la générosité ordinaire du vôtre ; n’insistez pas sur une conclusion dont la crainte m’a fait hésiter.

Je ne veux pas être interrompue, Clary. Vous avez vu, dans la conduite que j’ai tenue en cette occasion, toute la tendresse d’une mère ; vous avez dû observer que je me suis chargée, avec quelque répugnance, de la commission que j’exécute, parce que l’homme qu’on vous donne n’a pas tout ce que je lui souhaiterais, et parce que je sais que vous portez trop haut vos idées de perfection dans un homme.

Chère madame ! Pardonnez-moi cette fois seulement, de vous interrompre. Est-il donc à craindre que je me rende coupable de quelque imprudence en faveur de l’homme dont vous parlez ?

Encore interrompue ! Est-ce à vous de me faire des questions et des