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dans la joie d’avoir reçu les deux guinées de M Lovelace, il fit appeler aussi-tôt son maître, auquel il paya, de cette petite somme, une partie de sa dette ? Mais que doit-on penser du maître, qui eut le courage de la prendre, quoiqu’il n’ignorât pas que son fermier manquait de tout, et qui ne fit pas difficulté de le dire aussi-tôt que M Lovelace fut parti, en se contentant de louer l’honnêteté du fermier ? Si ce récit était certain, et que le maître n’appartînt pas de si près à ma chère amie, quel mépris n’aurais-je pas pour un misérable de cette espèce ? Mais on a peut-être grossi les circonstances : tout le monde est mal disposé pour les avares ; et ils ne méritent pas d’autres sentimens, parce qu’ils ne pensent qu’à la conservation de ce qu’ils préférent au bien de tout le monde.

J’attends votre première lettre avec une vive impatience. Ne vous lassez pas du détail. Je ne suis occupée que de vous et de ce qui a rapport à votre situation.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

Vendredi, 3 mars.

ô ma chère amie ! Quel combat j’ai eu à soutenir ! épreuve sur épreuve, conférences sur conférences. Mais connaissez-vous des loix ou des cérémonies qui puissent donner quelque droit à un homme sur un cœur qui le déteste !

J’espère encore que ma mère obtiendra quelque chose en ma faveur. Mais je vous dois la peinture de mes peines. J’y ai déjà employé toute la nuit ; car j’ai tant de choses à vous écrire ! Et je veux être aussi exacte que vous le désirez. Dans ma dernière lettre, je vous ai prévenue sur mes craintes. Elles étoient fondées sur une conversation entre ma mère et ma tante, dont Hannah a trouvé le moyen d’entendre une partie. Il serait inutile de vous en raconter les circonstances, parce qu’elles se trouvent renfermées dans le compte que j’ai à vous rendre de différentes conversations que j’ai eues avec ma mère dans l’espace de quelques heures.

Je suis descendue ce matin à l’heure du déjeûner, le cœur assez oppressé de tout ce qu’Hannah m’avait rapporté hier après midi. J’espérais de trouver l’occasion d’en parler à ma mère, dans l’espérance de lui inspirer un peu de pitié pour moi ; et mon dessein était de la joindre lorsqu’elle passerait dans son appartement. Malheureusement cet odieux Solmes était assis entr’elle et ma sœur, avec un air d’assurance qui m’a choquée dans ses regards ; vous savez, ma chère, que rien ne plaît de la part d’une personne qu’on n’aime point.

S’il était demeuré à sa place, tout se serait passé tranquillement ; mais cette épaisse créature s’est avisée de se lever, et de venir droit vers une chaise qui était près de celle qu’on avançait pour moi. Je me suis hâtée de l’éloigner comme pour faire place à la mienne, et je me suis assise, peut-être un peu brusquement, parce que tout ce que j’avais appris me revenait à la tête. Rien n’a paru capable de l’arrêter. Cet homme est plein de confiance en lui-même. Il est hardi ; il a le regard effronté. J’ai été surprise de lui voir pousser sa chaise si près de moi, en établissant sa laide et pesante figure, qu’il touchait à mon panier. Tout ce que