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doux que le vôtre, peu accoutumé à la résistance ; et, je vous le dis tristement, vous serez Madame Solmes .

Il vous sera aisé de deviner en même tems d’où est venu le bruit dont je vous ai touché quelque chose dans une de mes lettres, que la sœur cadette avait dérobé le cœur d’un amant à son aînée. C’est Betty qui a dit aussi que, ni vous ni M Lovelace, vous n’en aviez pas usé fort honnêtement avec sa maîtresse. N’êtes vous pas bien cruelle, ma chère, d’avoir dérobé à la pauvre Bella le seul amant qu’elle ait jamais eu, et cela dans l’instant qu’elle s’applaudissait d’avoir enfin l’occasion, non seulement de suivre le penchant d’un cœur si susceptible, mais encore de donner un exemple aux personnes renchéries de son sexe (entre lesquelles elle me faisait sans doute l’honneur de me mettre au premier rang), pour leur apprendre à gouverner un homme avec des rênes de soie.

Mais reprenons ; il ne me reste aucun doute de leur persévérance en faveur de ce méprisable Solmes, non plus que du fond qu’ils croient pouvoir faire sur la douceur de votre caractère, et sur les égards que vous aurez pour leur amitié et pour votre propre réputation. C’est à présent que je suis plus convaincue que jamais de la sagesse du conseil que je vous ai donné autrefois, de conserver tous vos droits sur la terre que votre grand-père vous a léguée. Si vous m’aviez écoutée, vous vous seriez assuré du moins une considération extérieure de la part de votre sœur et de votre frère, qui les aurait forcés de renfermer dans leur cœur l’envie et la mauvaise volonté qu’ils font éclater avec si peu de ménagement.

Il faut que je touche encore un peu cette corde. N’observez-vous pas combien le crédit de votre frère l’a emporté sur le vôtre, depuis qu’il possède une fortune considérable, et depuis que vous avez fait naître à quelques-uns d’entr’eux le désir de conserver la jouissance de votre terre, si vous ne vous soumettez pas à leurs volontés ? Je connais tout ce qu’il y a de louable dans vos motifs : et qui n’aurait pas cru que vous pouviez donner votre confiance à un père dont vous étiez si tendrement aimée ? Mais si vous aviez été dans la possession actuelle de cette terre, si vous y aviez fait votre demeure avec votre fidèle Norton, dont la compagnie aurait servi de protection à votre jeunesse, croyez-vous que votre frère ne vous eût pas ménagée davantage ? Je vous disais, il n’y a pas long-temps, que vos épreuves ne me paroissaient que proportionnées à votre prudence ; cependant vous serez plus qu’une femme, si vous vous dégagez d’un côté, des esprits violens et sordides qui vous assiègent ; et de l’autre, de l’autorité tyrannique qui vous en impose. à la vérité, vous pouvez finir tout d’un coup, et le public admirera votre aveugle soumission, si vous vous déterminez à devenir Madame Solmes.

J’ai lu avec plaisir ce que vous me racontez de la bonté de M Lovelace pour ses fermiers, et du petit présent qu’il fit à celui de votre oncle. Madame Fortescue lui accorde la qualité du meilleur de tous les maîtres. J’aurais pu vous le dire, si j’avais cru qu’il fût nécessaire de vous donner un peu d’estime pour lui. En un mot, il a des qualités qui peuvent rendre un homme supportable au-dessous de cinquante ans ; mais, jusqu’à cet âge, je plains la pauvre femme à laquelle il pourra tomber en partage, et je devrais dire les femmes , car il en tuera peut-être une douzaine avant ce tems-là. Ne nous écartons pas : croyez-vous que le fermier de votre oncle ne mérite pas bien des éloges, s’il est vrai, comme on le dit, que,