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leur autorité. Autorité ! N’est-ce pas un terme bien imposant dans la bouche d’un petit esprit, qui n’a d’autre avantage que d’être né trente ans plutôt qu’un autre ! Je parle de vos oncles ; car l’autorité paternelle doit être sacrée. Mais les pères même ne devraient-ils pas mettre de la raison dans leur conduite ?

Cependant ne vous étonnez pas de la barbarie avec laquelle votre sœur en use dans cette affaire. J’ai une particularité curieuse à joindre aux motifs qui gouvernent votre frère, qui éclaircira les dispositions de votre sœur. Ses yeux, comme vous l’avez avoué, furent éblouis d’abord de la recherche de l’homme qu’elle prétend mépriser, et qui l’honore certainement d’un souverain mépris. Mais vous ne nous avez pas dit qu’elle en est encore amoureuse. Bell a quelque chose de bas, jusque dans son orgueil ; et rien n’est si orgueilleux que Bell. Elle a fait confidence de son amour, du trouble qui la suit pendant le jour, qui l’empêche de dormir la nuit, et qui est pour elle un éguillon de vengeance, à sa favorite Betty Barnes. S’abandonner à la langue d’une servante ! Pauvre créature ! Mais les petites ames, qui se ressemblent, ne manquent point de se rencontrer et de se mêler comme les grandes. Cependant elle a recommandé le silence à cette fille ; et, par le moyen de la circulation femelle (comme Lovelace a eu l’impertinence de l’appeler dans une autre occasion, pour jeter du ridicule sur notre sexe), Betty, qui a voulu se faire honneur d’avoir été jugée digne d’un secret, ou qui a pris plaisir à s’emporter contre ce qu’elle nomme la perfidie de Lovelace, l’a dit à une de ses confidentes ; cette confidente l’a rapporté à la femme de chambre de Miss Loyd, qui l’a dit à sa maîtresse. Miss Loyd me l’a dit ; et moi, je vous l’apprends, pour en faire l’usage qu’il vous plaira. à présent vous ne serez pas surprise de trouver dans Miss Bella, une implacable rivale, plutôt qu’une sœur affectionnée ; et vous expliquerez à merveille les termes de sorcellerie , de sirène , et d’autres expressions qu’on a lâchées contre vous, aussi bien que l’empressement de fixer un jour pour vous sacrifier à Solmes ; en un mot, toutes les duretés et les violences que vous avez essuyées. Quelle plus douce vengeance, et contre Lovelace et contre vous, que de faire marier sa rivale à l’homme que sa rivale hait, et de l’empêcher par-là d’être à l’homme dont elle est amoureuse elle-même, et qu’elle soupçonne sa rivale d’aimer ! On a vu souvent employer le poison et le poignard dans les fureurs de la jalousie et de l’amour méprisé. Vous étonnerez-vous que les liens du sang soient sans force dans la même occasion, et qu’une sœur puisse oublier qu’elle est sœur ?

C’est ce motif secret, (d’autant plus puissant que l’orgueil y est trop intéressé pour l’avouer) joint à d’anciens sentimens d’envie, et à tous les autres motifs généraux que vous m’avez expliqués, qui, depuis que je le connais, me remplit d’appréhension pour vous. Ajoutez qu’il est secondé par un frère qui a pris l’ascendant sur toute votre famille, et qui est engagé par ses deux passions dominantes, l’intérêt et la vengeance, à vous perdre dans l’esprit de tous vos proches ; qu’ils ont tous deux l’oreille de votre père et de vos oncles ; qu’ils ne cessent pas de leur interpréter mal toutes vos actions et tous vos discours, et qu’ils ont, dans la rencontre et dans les mœurs de M Lovelace un champ continuel pour s’étendre. ô ma chère ! Comment pourriez-vous résister à tant d’attaques réunies ? Je suis sûre, hélas ! Trop sûre qu’ils terrasseront un caractère aussi