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de tous les hommes. Mais que m’importe à moi qu’il soit bon ou méchant ? Quelle part y prendrais-je, si je n’étais pas tourmentée par ce Solmes ? ô ma chère ! Que je le hais du côté sous lequel il m’est proposé. Pendant ce tems-là, ils sont tous effrayés de M Lovelace ; et, ce qu’il y a d’étrange, ils ne craignent point de l’irriter ! Quel est mon embarras, de me trouver dans la nécessité de correspondre avec lui pour leur intérêt ! Me préserve le ciel d’être poussée si loin par leur violence obstinée, que cette correspondance devienne jamais nécessaire pour le mien ! Mais croyez-vous, ma chère, qu’ils ne puissent pas revenir de leur résolution ? De ma part, c’est une chose impossible. Je commence à sentir que les esprits les plus doux sont les plus déterminés, lorsqu’ils se voyent persécutés avec tant de cruauté et d’injustice : la raison, sans doute, c’est que, n’ayant pas pris leur parti légèrement, leur délibération même les rend inébranlables. Lorsqu’on a l’évidence pour soi, on ne souffre pas sans impatience de se voir rappelé aux contentions et aux disputes.

Une interruption m’oblige de finir avec un peu de précipitation, et même avec une sorte d’effroi.




Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

Vendredi, 3 mars.

Vos deux lettres me sont remises ensemble. Il est bien malheureux pour vous, ma chère, puisque vos amis veulent vous voir mariée, qu’un mérite tel que le vôtre soit recherché par une succession d’indignes sujets, qui n’ont que leur présomption pour excuse.

Voulez-vous savoir pourquoi ces présomptueux ne paroissent pas aussi indignes qu’ils le sont, aux yeux de vos amis ? C’est que vos amis ne sont pas aussi frappés de leurs défauts que d’autres le pourraient être ; et pourquoi ? Hasarderai-je de vous le dire ? C’est qu’ils leur trouvent plus de ressemblance avec eux-mêmes. La modestie, après tout, peut y avoir aussi quelque part ; car le moyen, pour eux, de se figurer que leur nièce ou leur sœur (je ne remonte pas plus haut, dans la crainte de vous déplaire) soit un ange ? Mais où est l’homme à qui je suppose une juste défiance de lui-même, qui ose lever les yeux sur Miss Clarisse Harlove, avec quelques espérances, ou avec d’autres sentimens que le désir ? Ainsi les téméraires et les présomptueux, qui ne s’aperçoivent point de leurs défauts, ont la hardiesse d’aspirer, tandis que le mérite modeste est trop respectueux pour ouvrir la bouche. De là les persécutions de vos Symes , de vos Byrons , de vos Mullins, de vos Wyerleys, et de vos Solmes ; autant de misérables, qui, après avoir examiné le reste de votre famille, n’ont pas dû désespérer de lui faire agréer leur alliance. Mais, d’eux à vous, quelle insupportable présomption ?

Cependant j’appréhende que toutes vos oppositions ne soient inutiles. Vous serez sacrifiée à cet odieux personnage. Vous y consentirez vous-même. Je connais votre famille ; elle ne résistera point à l’amorce qui lui est présentée. ô ma chère, ma tendre amie ! Tant de charmantes qualités, un mérite si supérieur, seront donc ensévelis dans ce détestable mariage ! Votre oncle répète à ma mère que vous devez être soumise à