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point contre lequel elle s’est déclarée, et qu’ils ont résolu d’emporter, on lui a interdit ici les visites ; et même toute correspondance avec moi, comme j’en suis informée d’aujourd’hui.

Haine pour Lovelace, agrandissement de famille, et ce grand motif de l’autorité paternelle ! Combien de forces réunies ! Lorsque chacune de ces considérations en particulier suffirait pour emporter la balance.

Mon frère et ma sœur triomphent. Ils m’ont abattue ; c’est leur expression, qu’Hannah dit avoir entendue. Ils ont raison de le dire, (quoique je ne croie pas m’être jamais élévée trop insolemment) car mon frère peut à présent me forcer de suivre ses volontés, pour le malheur de ma vie ; et me rendre ainsi l’instrument de sa vengeance contre M Lovelace, ou me perdre dans l’esprit de toute ma famille, si je refuse d’obéir.

On s’étonnera que des courtisans emploient l’intrigue et les complots pour s’entre-détruire ? Lorsque, dans le sein d’une maison particulière, trois personnes, les seules qui puissent avoir quelque chose à démêler ensemble, et dont l’une se flatte d’être assez supérieure à toutes sortes de bassesses, ne peuvent pas vivre plus unies.

Ce qui me cause à présent le plus d’inquiétude, c’est la tranquillité de ma mère, qui me paraît fort en danger. Comment le mari d’une telle femme, qui est lui-même un excellent homme : (mais cette qualité d’homme a de si étranges prérogatives) ! Comment, dis-je, peut-il être si absolu, si obstiné à l’égard d’une personne qui a jeté dans la famille des richesses, dont ils connaissent tous si bien le prix, que cette raison seule devrait leur inspirer plus de considération pour elle ? Ils la respectent à la vérité ; mais je suis fâchée de dire qu’elle achète ce respect par ses complaisances. Cependant un mérite aussi distingué que le sien, devrait lui attirer de la vénération ; et sa prudence mériterait que tout fût confié à son gouvernement.

Mais où s’égare ma plume ? Comment une fille perverse ose-t-elle parler avec cette liberté, de ceux à qui elle doit tant de respect, et pour lesquels elle n’en a pas moins qu’elle ne doit ? Malheureuse situation, que celle qui l’oblige d’exposer leurs défauts pour sa propre défense ! Vous qui savez combien j’aime et je respecte ma mère, vous devez juger quel est mon tourment, de me trouver forcée de rejeter un systême dans lequel elle s’est engagée. Cependant je le dois. M’y soumettre est une chose impossible ; et si je ne veux m’exposer à voir croître les difficultés, il faut que je déclare promptement mon opposition, puisque je viens d’apprendre qu’aujourd’hui même on a consulté les avocats sur les articles. Auriez-vous jamais pu vous le persuader ?

Si j’étais née d’une famille catholique romaine, combien ne serais-je pas plus heureuse de n’avoir à craindre que la retraite perpétuelle d’un couvent, qui répondrait parfaitement à toutes leurs vues ? Que je regrette aussi qu’une certaine personne ait été méprisée par une autre ! Tout aurait été conclu avant que le retour de mon frère pût y apporter de l’opposition. J’aurais aujourd’hui une sœur que je n’ai plus, et deux frères, tous deux aspirans à ce qu’il y a de plus relevé, titrés tous deux peut-être ; quoique je n’eusse jamais estimé, dans l’un et l’autre, que ce qui est plus noble et plus précieux que tous les titres.

Mais que l’amour propre de mon frère est gouverné par des espérances éloignées ! à quelle distance étend-il ses vues ? Des vues qui peuvent être anéanties par le moindre accident, tel, par exemple, qu’une fièvre, dont