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faveur, pour le mettre en état de soutenir un titre qui devait s’éteindre à la mort de milord, mais qu’on espérait de lui procurer, ou peut-être un plus considérable encore, qui était celui du père de ces deux dames, éteint depuis quelque temps faute d’héritiers mâles : que c’était dans cette vue qu’on désirait si ardemment de le voir marié : que, ne voyant point où M Lovelace pourrait trouver mieux lui-même, il croyait véritablement qu’il y avait assez de biens dans notre famille pour former trois maisons considérables : que, pour lui, il ne faisait pas difficulté d’avouer qu’il souhaitait d’autant plus cette alliance, qu’avec la naissance et les richesses de M Lovelace, il y avait la plus forte apparence que sa nièce Clarisse se verrait un jour pairesse de la Grande-Bretagne ; et que, dans une si belle espérance (voici, ma chère, le trait mortifiant), il ne croirait rien faire de mal à propos, s’il contribuait par ses dispositions au support de cette dignité".

Il paraît que mon oncle Jules, loin de désapprouver son frère, déclara " qu’il ne voyait qu’une objection contre l’alliance de M Lovelace, qui était ses mœurs ; d’autant plus que mon père pouvait faire les avantages qu’il voudrait à Miss Bella et à mon frère, et que mon frère était actuellement en possession d’un gros bien, par la donation et le testament de sa marraine Lovell ".

Si j’avais eu plutôt toutes ces lumières, j’aurais été moins surprise d’un grand nombre de circonstances qui me paroissaient inexplicables dans la conduite que mon frère et ma sœur ont tenue avec moi, et j’aurais été plus sur mes gardes que je ne m’y suis crue obligée.

Vous pouvez vous figurer aisément quelle impression ces discours firent alors sur mon frère. Il ne fut pas content, comme vous vous en doutez bien, d’entendre deux de ses intendans , qui lui tenaient ce langage.

Dès ses premières années, il a trouvé le secret de se faire craindre et comme respecter de toute la famille, par la violence de son humeur. Mon père lui-même, long-temps avant que son acquisition eût encore augmenté son arrogance, s’y prêtait fort souvent, par indulgence pour un fils unique, qu’il regardait comme le soutien de sa famille. Il ne doit pas être fort porté à se corriger d’un défaut qui lui a procuré tant de considération.

Voyez, ma sœur, dit-il alors à Bella, d’un ton passionné, et sans faire attention à la présence de mes oncles, voyez où nous en sommes. Il ne nous reste qu’à prendre garde à nous. Cette petite sirène pourrait bien nous supplanter dans le cœur de nos oncles, comme dans celui de notre grand-père.

C’est depuis ce tems-là, comme je le vois clairement aujourd’hui en rapprochant toutes les circonstances, que mon frère et ma sœur ont commencé à se conduire avec moi, tantôt comme avec une personne qu’ils trouvaient dans leur chemin, tantôt comme avec une fille mal née à laquelle ils supposent de l’amour pour leurs ennemis communs, et qu’ils ont commencé à vivre ensemble, comme n’ayant plus qu’un même intérêt, dans la résolution d’employer toutes leurs forces pour rompre le projet d’une alliance qui les obligerait vraisemblablement à resserrer leurs propres vues.

Mais comment pouvaient-ils se promettre d’y réussir, après la déclaration de mes deux oncles ?

Mon frère en trouva le moyen. Ma sœur, comme j’ai dit, ne vit plus