Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/60

Cette page n’a pas encore été corrigée

tous que telle était la force du testament par rapport au legs qui me regarde, que j’étais même dispensée de rendre aucun compte.

Cependant, pour aller au-devant de toutes les jalousies, j’abandonnai, comme vous savez, à l’économie de mon père, non-seulement la terre, mais encore une somme considérable qui m’était léguée. C’était la moitié de l’argent comptant que mon grand-père s’était trouvé à sa mort, et dont il laissa l’autre moitié à ma sœur. Je me bornai à la petite somme qu’on avait toujours eu la bonté de m’accorder pour mes menus plaisirs, sans désirer qu’elle fût augmentée, et je me flattai que cette conduite m’avait mise à couvert de l’envie ; mais comme elle fit croître pour moi l’amitié de mes oncles et la bonté de mon père, mon frère et ma sœur ne cessèrent pas de me rendre sourdement, dans l’occasion, toutes sortes de mauvais offices ; et la cause en est claire aujourd’hui. à la vérité, j’y faisais peu d’attention, parce que je me reposais sur l’idée que mon devoir était rempli, et j’attribuais ces petits travers à la pétulance qu’on leur reproche à tous deux.

L’acquisition de mon frère ayant bientôt succédé, ce fut un changement de scène qui nous rendit tous fort heureux. Il alla prendre possession des biens qu’on lui laissait ; et son absence, sur-tout pour une si bonne cause, augmenta notre bonheur. Elle fut suivie de la proposition de milord M pour ma sœur. Autre surcroît de félicité pour un tems. Je vous ai raconté dans quel excès de bonne humeur ma sœur fut pendant quelques jours.

Vous savez comment cette affaire s’évanouit. Vous savez ce qui vint à la place.

Mon frère arriva d’écosse, et la paix fut bientôt troublée. Bella, comme je me souviens de vous l’avoir fait observer, eut l’occasion de dire hautement qu’elle avait refusé M Lovelace par mépris pour ses mœurs. Cette déclaration porta mon frère à s’unir avec elle dans une même cause. Ils entreprirent tous deux de rabaisser M Lovelace et même sa famille, qui ne mérite assurément que du respect ; et leurs discours donnèrent naissance à la conversation où je veux vous conduire, entre mes oncles et eux. Je vais vous en expliquer les circonstances, après avoir remarqué qu’elle précéda la rencontre, et qu’elle suivit presque immédiatement les informations qu’on se procura sur les affaires de M Lovelace, et qui furent moins désavantageuses que mon frère et ma sœur ne l’avoient espéré, ou qu’ils ne s’y étoient attendus.

Ils s’étoient emportés contre lui avec leur violence ordinaire, lorsque mon oncle Antonin, qui les avait écoutés patiemment, déclara " qu’à son avis ce jeune homme s’était comporté en galant homme, et sa nièce Clary avec prudence ; et qu’on ne pouvait désirer, comme il l’avait dit souvent, une alliance plus honorable pour la famille, puisque M Lovelace jouissait d’un fort bon patrimoine, en biens clairs et nets, suivant le témoignage même d’un ennemi : que d’ailleurs il ne paroissait pas qu’il fût aussi méchant qu’on l’avait représenté ; qu’il y avait à la vérité de la dissipation à lui reprocher, mais qu’il était dans la vivacité de l’âge ; que c’était un homme de sens ; et qu’il fallait compter que sa nièce ne voudrait pas de lui, si elle n’avait de bonnes raisons de le croire déjà réformé, ou disposé à la réformation par son exemple". Ensuite (je parle d’après ma tante), pour donner une preuve de la générosité de son caractère, qui marquait assez, leur dit-il, qu’il n’était pas