Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/55

Cette page n’a pas encore été corrigée

que je suis la vôtre, puisque vous savez bien, ma chère, que je ne vous ai jamais épargnée dans les mêmes occasions.

Je finis ici, mais c’est dans le dessein de commencer bientôt une autre lettre.



Miss Howe, à Miss Clarisse Harlove.

Jeudi 2 mars.

il est donc certain que, pour tout au monde, vous ne voudriez pas avoir pour lui ce qu’on nomme de l’amour ? votre servante, ma chère. Je ne voudrais pas non plus que vous en eussiez : car je pense qu’avec tous les avantages du mérite personnel, de la fortune et de la naissance, il n’est pas digne de vous. Et cette opinion me vient autant des raisons que vous m’apportez et que je confirme, que de ce que j’ai appris depuis quelques heures, de la bouche de Madame Fortescue, qui, étant la favorite de Ladi Betty Lawrance, doit le connaître parfaitement. Mais, à tout hasard, je veux vous féliciter d’abord d’être la première de notre sexe, dont j’aie entendu parler, qui ait été capable de changer à son gré, ce lion d’amour en un bichon de toilette.

Eh bien, ma chère, si vous ne sentez pas de battemens de cœur et de chaleur au visage, il demeure certain que vous n’en sentez pas, et que vous n’avez pas d’amour pour lui, dites-vous ; pourquoi ? Bonne raison, parce que vous ne voudriez pas en avoir. Il n’y a rien à dire de plus. Seulement, ma chère, je tiendrai la vue ferme sur vous, et j’espère que vous l’y tiendrez vous même ; car ce n’est pas bien raisonner que de conclure qu’on n’a point d’amour, parce qu’on ne voudrait pas en avoir. Avant que de quitter entièrement ce sujet, permettez que je vous dise un mot à l’oreille, ma charmante amie : ce sera seulement par voie de précaution, et par déférence pour l’observation générale, qu’un spectateur juge quelquefois mieux du jeu, que ceux qui tiennent les dés. Ne se peut-il pas que vous ayiez eu, et que vous ayiez à faire à des gens de si mauvaise humeur, à des têtes si bizarres, que vous n’ayiez pas eu le temps de faire attention aux battemens de cœur ; ou que, si vous en avez senti quelques-uns par intervalles, ayant deux objets auxquels ils pouvaient être appliqués, vous les ayiez tournés, par méprise, du côté qu’il ne fallait pas ?

Mais, soit que vous ayiez du penchant ou non pour ce Lovelace, je suis sûre que vous êtes impatiente de savoir ce que Madame Fortescue m’a dit de lui. Je ne veux pas vous tenir plus long-temps en suspens.

Elle raconte cent histoires folâtres de son enfance et de sa première jeunesse ; car elle observe que, n’ayant jamais été contredit, il a toujours été aussi malicieux qu’un singe. Mais je passerai sur ces petites misères, quoiqu’elles signifient quelque chose, pour m’arrêter à plusieurs points que vous n’ignorez pas tout-à-fait, et à d’autres que vous ignorez, et pour faire quelques observations sur son caractère.

Madame Fortescue avoue ce que tout le monde sait très-bien, que, notoirement et même de son propre aveu, il est homme de plaisir. Cependant elle dit que, pour tout ce qu’il prend à cœur, ou qu’il se propose d’exécuter, c’est le plus industrieux et le plus persévérant de tous les