Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/535

Cette page n’a pas encore été corrigée

sache de vous qu’en faisant valoir à propos ses rares talens, elle aurait pu sauver une fille infortunée. Vous observerez, ma chère, qu’avant qu’il fût trop tard, lorsqu’elle a vu qu’il n’y avait pas de fin aux persécutions de mon frère, elle avait pris la résolution d’agir avec force : mais sa téméraire fille a tout précipité par la funeste entrevue, et lui a fait perdre le fruit de ses indulgens desseins. Ah ! Ma chère, je suis convaincue à présent, par une triste expérience, qu’aussi long-temps que des enfans sont assez heureux pour avoir des parens ou des gardiens, qu’ils puissent consulter, ils ne doivent pas présumer (non, non, jamais, même avec les meilleures et les plus pures intentions) de suivre leurs propres idées dans les affaires d’importance. Je crois entrevoir, ajoute Miss Clarisse, un rayon d’espérance pour ma réconciliation future, dans l’intention que ma mère avait de s’employer en ma faveur, si je n’avais pas ruiné son projet par ma coupable démarche. Cette favorable idée se fortifie d’autant plus, que le crédit de mon oncle Harlove serait sans doute d’un grand poids, comme le pense ma mère, s’il avait la bonté d’entrer dans mes intérêts. Peut-être me convient-il d’écrire à ce cher oncle, si je puis en trouver l’occasion, ou la faire naître ".



M Lovelace à M Belford.

lundi, 24 avril. Le destin, mon cher Belford, trame une toile bien bizarre pour ton ami ; et je commence à craindre de m’y voir enveloppé sans pouvoir l’éviter. Je travaille depuis long-temps, tantôt à la sappe, comme un rusé mineur ; tantôt comme un oiseleur habile, étendant mes filets, et m’applaudissant de mes inventions, pour faire tomber absolument cette inimitable fille entre mes bras. Tout paroissait agir pour moi. Son frère et ses oncles n’étoient que mes pionniers . Son père faisait tonner l’artillerie pour ma direction. Madame Howe était remuée par les ressorts que je conduisois. Sa fille donnait le mouvement pour moi, et se figurait néanmoins combattre mes vues. La chère personne elle-même avait déjà la tête passée dans mon piége, sans s’appercevoir qu’elle y était prise ; parce que mes machines n’étoient pas sensibles autour d’elle. En un mot, lorsqu’il ne manquait rien à la perfection de mes mesures, te serait-il tombé dans l’imagination que je fusse devenu mon ennemi, et que j’eusse pris parti pour elle contre moi-même ? Aurois-tu jugé que j’abandonnerais mon entreprise favorite, jusqu’à lui offrir de l’épouser avant son départ pour Londres, c’est-à-dire jusqu’à rendre toutes mes opérations inutiles ? Lorsque tu seras informé de ce changement, ne penseras-tu pas que c’est mon ange noir qui me joue, et qui s’est mis dans la tête de me précipiter dans le lien indissoluble ; pour être plus sûr de moi, par les transgressions complexes auxquelles il m’excitera infailliblement après mon mariage, que par les péchés simples que je me permets depuis si long-temps, et pour lesquels il craint que l’habitude ne devienne une excuse ? Tu seras encore plus surpris, si j’ajoute que, suivant toute apparence, il y a quelque traité de réconciliation commencé entre les anges noirs et