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menaces dont elle est remplie contre lui-même. L’effet qu’elle a produit sur moi ne laissa point de le jeter dans un furieux emportement. J’étais si foible, qu’il me conseilla de remettre mon départ à lundi, comme je me l’étais déjà proposé. Il est extrêmement tendre et respectueux. Tout ce que vous avez prévu de sa part est venu à la suite de ce fatal incident. Il s’est offert à moi avec si peu de réserve, que je me fais un reproche de ma défiance, et de vous l’avoir marquée trop librement. Je vous demande en grâce, ma très-chère amie, de ne faire voir à personne tout ce qui pourrait nuire de mon côté à sa réputation. Je dois vous avouer que sa conduite obligeante et l’abattement de mon esprit, joints à vos avis précédens et aux circonstances de ma situation, me déterminèrent dimanche à recevoir ouvertement ses offres. Ainsi, je dépends à présent de lui plus que jamais. Il me demande à tous momens de nouvelles marques de mon estime et de ma confiance. Il confesse qu’il a douté de l’une, et qu’il était prêt à désespérer de l’autre. Comme je n’ai pu me dispenser de quelques aveux favorables pour lui, il est certain que, s’il s’en rend indigne, j’aurai bien sujet de blâmer cette violente lettre de ma sœur ; car je ne me sens point de résolution. Abandonnée de tous mes amis naturels, avec votre seule pitié pour consolation (pitié restreinte, si je puis ainsi la nommer), je me suis vue forcée de tourner mon cœur affligé vers l’unique protection qui s’est présentée. Cependant votre avis me soutient. Non-seulement il a servi à me déterminer ; mais, répété dans la tendre lettre que j’ai devant les yeux, il a la force de me faire partir pour Londres avec une sorte de joie. Auparavant, je me sentais comme un poids sur le cœur ; et quoique mon départ me parut le meilleur et le plus sûr parti, la force me manquait, je ne sais pourquoi, à chaque pas que je faisais pour les préparatifs. J’espère qu’il n’arrivera rien de fâcheux sur la route. J’espère que ces esprits violens n’auront pas le malheur de se rencontrer. La voiture n’attend plus que moi. Pardon, ma très-bonne, ma très-obligeante amie, si je vous renvoie votre Norris. Dans la perspective un peu plus flatteuse qui commence à s’ouvrir, je ne vois pas que votre argent puisse m’être nécessaire. D’ailleurs, j’ai quelque espérance qu’avec mes habits, on m’enverra ce que j’ai demandé, quoiqu’on me le refuse dans la lettre. Si je me trompe, et s’il m’arrive d’être pressée par le besoin, il me sera aisé d’en instruire une amie si ardente à m’obliger. Mais j’aimerais bien mieux que vous pussiez dire, dans l’occasion, qu’on ne vous a fait aucune demande, et que vous n’avez fait aucune faveur de cette nature. Mes vues, dans ce que je dis ici, se rapportent à l’espérance que j’ai de me rétablir dans l’estime de votre mère, qui, après celle de mon père et de ma mère, est ce que je désire le plus au monde. Je dois ajouter, malgré la précipitation avec laquelle j’écris, que M Lovelace m’offrit hier de se rendre avec moi chez Milord M ou de faire venir ici l’aumônier du château. Il me pressa beaucoup d’y consentir, en me témoignant même que la célébration lui serait plus agréable ici qu’à Londres. Je lui avais dit qu’il serait tems d’y penser à la ville. Mais, depuis que j’ai reçu votre tendre et consolante réponse, je crois sentir quelque regret de n’avoir pu me rendre à ses ardentes sollicitations. Cette affreuse lettre de ma sœur a comme décomposé mon être. Et puis, il y a