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Vous reconnaîtrez à présent que votre unique ressource est de surmonter vos scrupules, et de vous marier à la première occasion. Ne balançons plus, ma chère ; il faut vous déterminer sur ce point. Je veux vous donner un motif qui me regarde moi-même. J’ai résolu, j’ai fait vœu (tendre amie ! N’en soyez pas fâchée contre moi) de ne pas penser au mariage aussi long-temps que votre bonheur sera suspendu. Ce vœu est une justice que je rends au mari qui m’est destiné par le ciel : car, ma chère, n’est-il pas certain que je serai malheureuse si vous l’êtes ? Et quelle indigne femme ne serais-je pas nécessairement, pour un homme dont les complaisances n’auraient pas le pouvoir de contre-balancer, dans mon cœur, une affliction qu’il n’aurait pas causée ! à votre place, je communiquerais à Lovelace la lettre de votre abominable sœur. Je vous la renvoie. Elle ne passera pas la nuit sous le même toit que moi. Ce sera pour vous une occasion de ramener Lovelace au sujet qui doit faire à présent votre principale vue. Qu’il apprenne ce que vous souffrez pour lui. Il est impossible qu’il n’en soit pas touché. Je perdrais le sens et la raison, si cet homme avait la lâcheté de vous trahir. Avec un mérite si distingué, vous ne serez que trop punie de votre faute involontaire, par la nécessité d’être sa femme. Je ne voudrais pas que vous vous crussiez trop assurée qu’on ait renoncé au dessein de vous faire enlever. L’expression de cette détestable Arabelle me paraît ménagée pour vous inspirer une fausse sécurité. elle croit, dit-elle, que ce dessein est abandonné. cependant je n’apprends pas de Miss Loyd qu’on ait commencé à le désavouer. Le meilleur parti, lorsque vous serez à Londres, est de vous tenir à couvert, et de faire passer par deux ou trois mains tout ce qui peut vous être adressé. Je ne voudrais pas pour ma vie, vous voir tomber, par quelque surprise, entre les mains de ces odieux tyrans. Moi-même je me contenterai de vous donner de mes nouvelles par quelque main tierce ; et j’en tirerai un avantage, qui sera de pouvoir assurer ma mère, ou tout autre, dans l’occasion, que j’ignore où vous êtes. Ajoutez que ces mesures vous laisseront moins de crainte pour les suites de leur violence, s’ils tentaient de vous enlever en dépit de Lovelace. Mais je vous prie d’adresser directement toutes vos lettres à M Hickman ; et même votre réponse à celle-ci. J’ai quelques raisons pour le souhaiter ; sans compter que, malgré l’indulgence d’aujourd’hui, ma mère est toujours obstinée dans sa défense. Le conseil que je vous donne est d’éloigner de vos idées ce nouveau sujet d’affliction. Je connais quelle impression il peut faire sur vous. Mais ne le permettez pas. Essayez de le réduire à sa juste valeur. L’oublier est au-dessus de vos forces : cependant votre esprit peut s’occuper de mille sujets différens ; de ceux qui sont devant vous. Apprenez-moi, sans vous y arrêter trop, ce que Lovelace aura pensé de l’abominable lettre, et de cette diabolique imprécation. Je compte qu’elle amènera naturellement le grand sujet, et que vous n’aurez pas besoin de médiateur. Allons, ma chère ; que votre courage se réveille. C’est à l’extrêmité du mal que le bien recommence. Le bonheur vient souvent d’où l’on attend l’infortune. Cette malédiction même, heureusement ménagée, peut devenir une source de bénédictions pour vous. Mais l’espoir du remède s’évanouit avec le courage. N’accordez pas à vos cruels ennemis l’avantage de