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votre mère, et toutes deux se reprochent la part qu’elles ont eue à votre naissance et à votre éducation. En un mot, vous êtes l’opprobre de tous ceux à qui vous avez appartenu ; et plus que de tout autre, celui d’Arabelle Harlove.



Miss Howe à Miss Clarisse Harlove.

mardi, 25 avril. Rappelez votre courage ; ne vous livrez point à l’abattement ; éloignez toutes les idées de désespoir, ma très-chère amie. L’être tout-puissant est juste et miséricordieux. Il ne ratifie point de téméraires et inhumaines malédictions. S’il abandonnait sa vengeance à la malignité, à l’envie, à la fureur des hommes, ces noires passions triompheraient dans les plus mauvais cœurs ; et les bons, proscrits par l’injustice des méchans, seraient misérables dans ce monde et dans l’autre. Cette malédiction montre seulement de quel esprit vos parens sont animés, et combien leurs sordides vues l’emportent sur les sentimens de la nature. C’est uniquement l’effet de leur rage, et de l’impétueuse confusion qu’ils ont eue de voir avorter leurs desseins ; des desseins qui méritaient d’être étouffés dans leur source : et ce que vous avez à déplorer n’est que leur propre témérité, qui ne manquera point de retomber sur leurs têtes. Dieu, tout bon et tout-puissant, ne peut confirmer une présomptueuse imprécation, qui s’étend jusqu’à la vie future. Fi ! Fi ! Diront tous ceux qui seront informés de ce débordement de poison : et bien plus, lorsqu’ils sauront que ce qui porte votre famille à ces odieux excès de ressentiment, est son propre ouvrage. Ma mère blâme extrêmement cette horrible lettre. Elle a pitié de vous ; et de son propre mouvement, elle souhaite que je vous écrive, cette fois seulement, pour vous donner un peu de consolation. Il serait affreux, dit-elle, qu’un cœur si noble, qui paraît sentir si vivement sa faute, succombât tout-à-fait sous le poids de ses infortunes. J’admire votre tante. Quel langage ! Prétend-elle établir deux droits et deux torts ? Soyez persuadée, ma chère, qu’elle sent le mal qu’elle a fait, et qu’ils se rendent tous la même justice, de quelque manière qu’ils cherchent à s’excuser. Ils n’entreprendront point, comme vous voyez, de justifier leur conduite et leurs vues par des explications ; ils prétendent seulement qu’ils étoient résolus de se rendre. Mais, dans tout le cours de vos ennuyeuses contentions, votre cruelle tante vous a-t-elle donné le moindre espoir qu’ils fussent disposés à se relâcher ? Je me rappelle à présent, comme vous, ses obscurs avis. Pourquoi, s’il vous plaît, cette obscurité, dans une occasion qui pouvait être d’un si grand avantage pour vous ? étoit-il bien difficile à une tante, qui prétend vous avoir toujours aimée, et qui vous écrit aujourd’hui si librement ce qui n’est propre qu’à vous affliger, de vous apprendre en confidence, par une ligne, par un mot, le prétendu changement de leurs mesures ? Ne me parlez pas, ma chère, des prétextes auxquels ils ont recours aujourd’hui. Je les regarde comme un aveu tacite de l’infâme traitement qu’ils vous ont fait essuyer. Je garderai le secret de votre tante, ne craignez rien là-dessus. Je ne voudrais pas, pour tout au monde, que ma mère en fût informée.