Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/504

Cette page n’a pas encore été corrigée

à la mémoire. Cependant ses termes étoient si décisifs, et le ton si impérieux ! J’ai cru voir qu’il jouissait de mon embarras (en vérité, ma chère, il ne connaît pas ce que c’est que l’amour respectueux). Il me regardait comme s’il eût voulu pénétrer jusqu’au fond de mon ame. Ses déclarations ont encore été plus nettes quelques momens après ; mais, comme vous le verrez bientôt, elles étoient à demi arrachées. Mon cœur était violemment partagé entre la colère et la honte de me voir poussée jusqu’à ce point par un homme qui semblait commander à toutes ses passions, tandis que j’avais si peu d’empire sur les miennes. à la fin, mes larmes ont forcé le passage ; et je me retirais, avec les marques d’un amer chagrin, lorsque, jetant ses bras autour de moi, de l’air néanmoins le plus tendre et le plus respectueux, il a donné un tour assez stupide au sujet : son cœur, m’a-t-il dit, était bien éloigné de prendre avantage des embarras où l’insensé projet de mon frère m’avait jetée, pour renouveler, sans mon aveu, une proposition que j’avais déjà mal reçue, et qui, par cette raison… le reste de son discours ne m’a paru qu’un tissu mal ordonné de phrases vagues et de sentences, par lesquelles il prétendait se justifier d’une hardiesse qui ne s’était expliquée, disait-il, qu’à demi. Je ne puis m’imaginer qu’il ait eu l’insolence de vouloir me mettre à l’épreuve, pour essayer s’il pourrait tirer de ma bouche des explications qui ne conviennent point à mon sexe ; mais quel qu’ait été son dessein, il m’a si vivement irritée, que mon cœur, se révoltant contre ses discours, j’ai recommencé à pleurer, en m’écriant que j’étais extrêmement malheureuse : et, faisant réflexion à l’air apprivoisé que j’avais entre ses bras, je m’en suis arrachée avec indignation. Mais il m’a retenue par la main, lorsque j’allais sortir de la chambre ; il s’est jeté à genoux, pour me supplier de demeurer un moment ; et, dans les termes les plus clairs, il s’est offert à moi, comme le souverain moyen de prévenir les desseins de mon frère, et de finir toutes mes peines. Que pouvais-je répondre ? Ses offres m’ont paru arrachées, comme je l’ai déjà dit, et plutôt l’effet de sa pitié que de son amour. Quel parti prendre ? Je suis demeurée la bouche ouverte, et l’air décontenancé. Je devais faire une très-ridicule figure. Il a joui du spectacle, attendant sans doute que je lui fisse quelque réponse. Enfin, confuse de mon propre embarras, et cherchant à l’excuser par un détour, je lui ai dit qu’il devait éviter toutes les mesures… qui étoient capables d’augmenter les alarmes… dont il voyait que je ne pouvais me défendre en réfléchissant sur le caractère irréconciliable de mes amis, et sur les malheureuses suites qu’on pouvait craindre de l’horrible projet de mon frère. Il m’a promis de se gouverner uniquement par mes volontés, et le misérable m’a demandé encore une fois si je lui pardonnais son humble proposition. Que me restait-il à faire si ce n’était de chercher de nouvelles excuses pour ma confusion, puisqu’elle était si mal entendue. Je lui ai dit que le retour de M Morden ne pouvait tarder long-temps ; que sans doute il serait plus facile de l’engager en ma faveur, quand il trouverait que je n’avais fait usage de l’assistance de M Lovelace que pour me délivrer de M Solmes ; et que, par conséquent, il était à souhaiter pour moi que les choses demeurassent dans la situation où elles étoient, jusqu’à l’arrivée de mon cousin ! Toute irritée que je pouvais être, il me semble, ma chère, que cette réponse