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plus qu’une vaine ostentation dans son systême ? Je me flatte que vous aurez la bonté d’observer qu’il y a des complots plus noirs et plus violens que les miens ; mais celui-ci est d’une si horrible nature, qu’il m’en paraît moins propre à vous alarmer. Je connais parfaitement votre frère. Il a toujours eu dans l’esprit un tour romanesque, mais la tête si foible, qu’elle n’a servi qu’à l’embarrasser et à le confondre ; une demi-invention, une présomption complète, sans aucun talent pour se faire du bien à lui-même, et pour faire d’autre mal aux autres que celui dont ils lui fournissent le pouvoir et l’occasion par leur propre folie. Voilà, monsieur, une volubilité merveilleuse ! Mais tous les esprits violens ne se ressemblent que trop, du moins dans leurs ressentimens particuliers. Vous croyez-vous plus innocent, vous qui étiez déterminé à braver toute ma famille, si ma folie ne vous avait point épargné cette témérité, et n’eût pas sauvé mes parens de l’insulte ? Eh quoi, chère Clarisse ! Vous parlerez toujours de folie , toujours de témérité ? Vous est-il donc aussi impossible de penser un peu avantageusement de tout ce qui n’est pas votre famille, qu’il l’est à vos proches de mériter votre estime et votre affection ? Mille pardons, très-chère Clarisse ! Si je n’avais pas pour vous plus d’amour qu’on n’en eut jamais pour une femme, je pourrais être plus indifférent pour des préférences qui blessent si clairement la justice. Mais qu’il me soit permis de vous demander ce que vous avez souffert de moi. Quel sujet vous ai-je donné de me traiter avec tant de rigueur et si peu de confiance ? Au contraire, que n’avez-vous pas eu à souffrir d’eux ? L’opinion publique peut m’avoir été peu favorable ; mais qu’avez-vous à me reprocher de votre propre connaissance ? Cette question m’a causé de l’embarras. Mais j’étais résolue de ne me pas manquer à moi-même. Est-ce le tems, M Lovelace, est-ce l’occasion de prendre de si grands airs avec une jeune personne destituée de toute protection ? C’est une question bien surprenante que la vôtre : si j’ai quelque chose à vous reprocher de ma connaissance ! Je puis vous répondre, monsieur… et me sentant interrompue par mes larmes, j’ai voulu me lever brusquement pour sortir. Il s’est saisi de ma main. Il m’a conjurée de ne pas le quitter mécontente. Il a fait valoir sa passion, l’excès de ma rigueur, ma partialité pour les auteurs de mes peines, pour ceux, m’a-t-il dit, dont les déclarations de haine et les violens projets faisaient la matière de notre délibération. Je me suis vue comme forcée de l’entendre. Vous daignez, chère Clarisse, a-t-il repris, me demander ici mon opinion. Il est fort aisé, permettez que je le dise, de vous représenter ce que vous avez à faire. Malgré vos premiers ordres, j’espère que, dans cette nouvelle occasion, vous ne prendrez point mon avis pour une offense. Vous voyez qu’il n’y a point d’espérance de réconciliation avec vos proches. Sentez-vous, mademoiselle, que vous puissiez consentir à honorer de votre main un misérable qui n’a point encore obtenu de vous une faveur volontaire ? Quelle idée, ma chère ! Quelle sorte de récrimination ou de reproche ? Je ne m’attendais, dans ce moment, ni à de telles questions, ni à la manière dont celle-ci m’était proposée. La rougeur me monte encore au visage, lorsque je me rappelle ma confusion. Tous vos avis me sont revenus