Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/496

Cette page n’a pas encore été corrigée

tourne moins les yeux dedans que dehors ; ou, si vous l’aimez mieux en d’autres termes, qu’on fait tomber la critique sur autrui plus souvent que sur soi-même.



Miss Clarisse Harlove à Miss Howe.

je viens en peu de mots, ma chère amie, à la défense que vous avez reçue de votre mère. C’est un sujet que j’ai touché fort souvent, mais comme à la hâte, parce que, sentant fort bien que mon jugement serait condamné par ma pratique, je n’ai pas eu jusqu’aujourd’hui le courage de me fier à moi-même. Vous ne voulez pas que j’entreprenne de vous faire renoncer à cette correspondance. Vous m’apprenez avec quelle bonté M Hickman l’approuve, et combien il est obligeant, de permettre qu’elle passe par ses mains. Mais ce n’est point assez pour me satisfaire entièrement. Je suis un fort mauvais casuiste ; et le plaisir que je prends à vous écrire, peut me donner beaucoup de partialité pour mes propres désirs. Sans cette crainte, et si je n’appréhendais aussi que la franchise et la bonne foi ne fussent blessées par des évasions, je serais tentée de vous proposer une voie que j’abandonne à votre jugement. Ne pourrais-je pas vous écrire, pour me conserver une satisfaction si douce, et ne recevoir de vous, suivant les occasions, qu’une réponse passagère, non-seulement sous le couvert, mais par la plume de M Hickman, pour me ramener au vrai lorsque je m’écarte, pour me confirmer lorsque je pense bien, et pour me guider dans mes doutes ? Ce secours me ferait marcher avec plus d’assurance dans le chemin obscur qui s’ouvre devant moi ; car, malgré l’injustice de mes censeurs, malgré toutes les nouvelles disgrâces dont je suis menacée, je ne me croirai pas tout-à-fait malheureuse, si je puis conserver votre estime. Véritablement, ma chère, je ne sais comment je pourrais prendre sur moi de ne plus vous écrire. Je n’ai point d’autre occupation, ni d’autre amusement. Il faudrait que je fîsse usage de ma plume, quand je n’aurais personne à qui je pusse envoyer mes lettres. Vous m’avez entendu relever les avantages que j’ai toujours trouvés à jeter sur le papier tout ce qui m’arrive, actions, pensées : je m’imagine que c’est le moyen de faire tourner le présent à mon utilité future. Outre que cet exercice forme le style, et qu’il sert à développer les idées, il n’y a personne à qui il n’arrive de perdre une bonne pensée, qui s’évapore après la réflexion, ou d’oublier une bonne résolution, parce qu’elle est chassée de la mémoire par de secondes vues qui ne valent pas toujours les premières ; mais, lorsque j’ai pris la peine d’écrire ce que je veux faire ou ce que j’ai fait, l’action ou la résolution demeure comme devant moi, pour m’y attacher de plus en plus, ou pour y renoncer, ou pour la corriger. C’est une sorte de traité que j’ai fait avec moi-même, et qui, étant scellé de ma propre main, devient une règle de conduite, et comme un engagement pour l’avenir. Je voudrais donc vous écrire, si je le puis sans offense, d’autant plus, qu’outre le plaisir de satisfaire mon inclination, ma plume s’anime, lorsqu’en écrivant j’ai quelque objet en vue, quelque amie à qui je désire de plaire.