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Je lui répondis qu’un devoir exigé avec un excès déraisonnable de rigueur avait causé toutes vos disgrâces ; que, si elle me croyait propre au mariage, elle devait me juger capable de former, ou du moins d’entretenir des amitiés, particulièrement avec une personne, dont elle m’avait félicitée mille fois, dans d’autres tems, d’avoir obtenu l’estime et la confiance ; qu’il y avait d’autres devoirs que ceux de la nature, et qu’ils pouvaient tous s’accorder ; qu’un commandement injuste, j’osais le dire, dût-elle me battre encore, était un degré de tyrannie ; et que je n’aurais pas dû m’attendre, qu’à mon âge, on ne me laissât aucun exercice de ma volonté, aucune démarche à faire de mon choix, lorsqu’il n’était question que d’une femme, et que le sexe maudit n’y avait aucune part. Ce qu’il y avait de plus favorable à son argument, c’est qu’elle se réduisait à demander la communication de nos lettres. Elle insista beaucoup sur ce point. Vous étiez, me dit-elle, entre les mains du plus intrigant de tous les hommes ; qui, suivant quelques avis qu’elle avait reçus, tournait son Hickman en ridicule. Quoiqu’elle fût portée à bien juger de vous et de moi, qui pouvait lui répondre des suites de notre correspondance ? Ainsi, ma chère, vous voyez que l’intérêt de M Hickman a beaucoup de part ici. Je n’aurais pas d’éloignement pour faire voir mes lettres à ma mère, si je n’étais persuadée que votre plume et la mienne en seraient moins libres ; et si je ne la voyais si attachée au parti contraire, que ses raisonnemens, ses censures, ses inductions et ses interprétations deviendraient un sujet perpétuel de difficultés et de nouveaux débats. D’ailleurs, je ne serais pas bien aise qu’elle sût comment votre rusé monstre a joué une personne d’un mérite si supérieur au sien. Je connais cette grandeur d’ame qui vous élève au-dessus de vos intérêts propres ; mais n’entreprenez point de me faire renoncer à notre correspondance. M Hickman, immédiatement après la querelle dont je vous ai fait l’histoire, m’a offert ses services ; et ma dernière lettre vous a fait voir que je les ai acceptés. Quoiqu’il soit si bien avec ma mère, il juge qu’elle a trop de rigueur pour vous et pour moi. Il a eu la bonté

de me dire (et j’ai cru voir dans son discours un air de protection) que non-seulement il approuvait notre correspondance, mais qu’il admirait la fermeté de mon amitié ; et que, n’ayant pas la meilleure opinion du monde de votre homme, il est persuadé que mes informations et mes avis peuvent quelquefois vous être utiles. Le fonds de ce discours m’a plu, et c’est un grand bonheur pour lui ; sans quoi, je serais entrée en compte sur le terme d’ approuver , et je lui aurais demandé depuis quand il me croyait disposée à le souffrir. Vous voyez, ma chère, ce que c’est que cette race d’hommes : vous ne leur avez pas plus tôt accordé l’occasion de vous obliger, qu’ils prennent le droit d’ approuver

vos actions ; dans lequel est renfermé apparemment celui de les désapprouver, lorsqu’ils le jugeront à propos. J’ai dit à ma mère combien vous souhaitez de vous réconcilier avec votre famille, et combien vous êtes indépendante de M Lovelace. La suite, m’a-t-elle répondu, nous fera juger du second point. à l’égard du premier, elle sait, dit-elle, et son opinion est aussi, que vous ne devez espérer de réconciliation qu’en retournant au château d’Harlove, sans prétendre au moindre droit d’imposer des conditions. C’est le plus sûr