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tendre, si l’humeur de ma mère et la sienne n’avoient pas eu trop de ressemblance pour être capables de s’accorder. Le malheur, en un mot, c’est que l’un ne pouvait être fâché, sans que l’autre voulût l’être aussi : tous deux, d’ailleurs, avec un fort bon naturel. Cependant, à l’ âge même où j’étais, je ne trouvais pas le joug aussi pesant pour ma mère, qu’elle paraît vouloir me le persuader, lorsqu’il lui plaît de désavouer sa part à mon existence. J’ai souvent pensé que, pour empêcher les partages d’affection dans leurs enfans, les pères et les mères devraient éviter, sur toutes choses, ces querelles, longues ou fréquentes, qui mettent un pauvre enfant dans l’embarras pour prendre son parti entre deux personnes si chères, lorsqu’il serait porté à les respecter toutes deux comme il le doit. Si vous voulez être informée du détail de notre différend, après vous avoir confessé en général que votre malheureuse affaire en étoit l’occasion, il faut vous satisfaire. Mais comment dois-je m’expliquer ? Je sens la rougeur qui me monte au visage. Apprenez-donc, ma chère, que j’ai été… pour ainsi dire… oui, que j’ai été battue. Rien n’est plus vrai. Ma mère a jugé à propos de me donner un grand coup sur les mains, pour m’arracher une lettre que j’étais à vous écrire, et que j’ai déchirée en pièces et jetée au feu devant elle, pour l’empêcher de la lire. Je sais que cette aventure vous affligera. épargnez-vous par conséquent la peine de me le dire. M Hickman arriva quelques momens après. Je ne voulus pas le voir. Je suis, ou trop grande pour être battue, ou trop enfant pour avoir un très-humble serviteur. C’est ce que je déclarai à ma mère. Quelles autres armes que du chagrin et de la mauvaise humeur, lorsqu’il ne serait pas pardonnable de penser même à lever le petit doigt ! Elle me dit, en style d’Harlove, qu’elle voulait être obéie ; et que la maison serait fermée à M Hickman même, s’il contribuait à l’entretien d’une correspondance qu’elle m’avait défendue. Pauvre Hickman ! Son rôle est assez bizarre entre la mère et la fille. Mais il sait qu’il est sûr de ma mère, et qu’il ne l’est pas de moi. Ainsi son embarras n’est pas grand à choisir, quand il ne serait pas porté d’inclination à vous rendre service. Je m’enfermai pendant tout le jour ; et le peu de nourriture que je pris, je le pris seule. Le soir, je reçus un ordre solemnel de descendre pour le souper. Je descendis, mais environnée du nuage le plus épais. Oui et non furent les seules réponses que je fis assez long-temps. Cette conduite, me dit ma mère, n’avancerait pas mes affaires auprès d’elle. Elle ne gagnerait rien à me battre, lui dis-je à mon tour. C’était, répliqua-t-elle, la hardiesse de ma resistance qui l’avait provoquée à me donner un coup sur la main. Elle était fâchée que je l’eusse irritée jusqu’à ce point : mais elle n’en exigeait pas moins, de deux choses l’une ; ou que ma correspondance fût absolument interrompue, ou que toutes nos lettres lui fussent communiquées. Je lui dis qu’elle demandait deux choses également impossibles ; et qu’il convenait aussi peu à mon honneur qu’à mon inclination, d’abandonner une amie dans l’infortune… sur-tout pour satisfaire des ames basses et cruelles. Elle ne manqua point de rappeler tous les lieux communs du devoir et de l’obéissance.