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N’es-tu pas étonné, Belford, que ce rusé coquin de Doleman ait nommé la rue de Douvres pour celle de notre bonne veuve ? Quel crois-tu qu’ait été son dessein ? Tu ne le devineras jamais. Ainsi, pour t’en épargner l’embarras, suppose que quelque officieuse personne, (Miss Howe est fine et active comme le diable) prenne la peine d’aller aux informations, pour s’assurer des caractères ; lorsque dans cette rue on ne trouvera ni les mêmes noms, ni un tel appartement, ni même une maison qui ressemble à ce qu’on cherche, le plus habile chasseur d’Angleterre ne tombera-t-il pas en défaut ? Comment empêcher, me demandes-tu, que la belle ne s’aperçoive de la tromperie, et que sa défiance n’augmente encore, lorsqu’elle se verra dans une autre rue ? Ne t’embarrasse point. Ou je trouverai quelque nouvelle ruse, ou nous serons déjà si bien ensemble qu’elle prendra tout de bonne grâce ; ou, si je ne suis pas plus avancé qu’aujourd’hui, elle commencera peut-être à me connaître assez, pour n’être pas étonnée de cette peccadille. Mais comment empêcherai-je que la belle n’apprenne à son amie le vrai nom de la rue ? Il faut d’abord qu’elle le sache elle-même. Dis, butor, ne faut-il pas qu’elle le sache ? Oui ; mais quel moyen d’empêcher qu’elle ne sache le nom de la rue, ou que son amie ne lui écrive dans cette rue ; ce qui reviendra au même ? Repose-toi de ce soin sur moi. Si tu m’objectes encore que Doleman a l’esprit trop épais pour avoir fait cette réponse à ma lettre… est-il si difficile de t’imaginer, que, pour en épargner la peine à l’honnête Doleman, moi, qui connais si bien la ville, je lui ai envoyé son modèle, et je ne lui ai laissé que le soin de transcrire ? Que dis-tu de moi, Belford ? Et, si j’ajoute que je t’avais destiné cette commission, et que la belle s’y est opposée, par la seule raison qu’elle connaît mon estime pour toi ; que diras-tu d’elle ? C’est à présent que je vois bien loin devant moi, et que j’ai du loisir de reste. Conviens que ton ami est un homme incomparable. Que je te trouve petit, du sommet de ma gloire et de mon excellence ! Ne t’étonnes pas que je te méprise sincèrement ; on ne peut avoir si bonne opinion de soi-même, sans mépriser à proportion tout le reste du genre humain. Je compte tirer un bon parti du mariage prétendu dont on me félicite ; mais je ne veux pas te communiquer à la fois toutes mes vues. D’ailleurs, cette partie de mon projet n’est pas encore tout-à-fait digérée. Un général qui est obligé de régler ses démarches par celles d’un adversaire vigilant, ne peut répondre de ce qu’il fera d’un jour à l’autre. La veuve Sainclair, entends-tu, Belford ? Oui, Sainclair, je te le répète ; et garde-toi de l’oublier. Elle ne portera point d’autre nom. Comme elle a de grands traits et l’air hommasse, je la supposerai descendue de quelque montagnard d’écosse. Son mari, le colonel, (grave cela aussi dans ta mémoire), était un écossais, honnête homme, et brave comme César. Dans toutes mes inventions, je n’oublie jamais les bagatelles. Elles servent quelquefois plus qu’un millier de sermens et de protestations, qui n’ont été inventés que pour y suppléer, sur-tout lorsqu’il faut prévenir les soupçons d’un esprit défiant. Tu