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tirer des ressemblances hideuses. Mais je veux être un peu sûre de mon fait auparavant ; car, qui sait ce qui peut arriver, puisque l’affaire est en si bon train, et que vous n’avez pas le courage de vous opposer au torrent qui vous entraîne ?

Vous me priez de vous communiquer un peu de mon esprit. Parlez-vous sérieusement ? Mais je crains qu’il ne vous fût déjà fort inutile. Vous êtes la fille de votre mère, pensez-en ce qu’il vous plaît, et vous avez à combattre des esprits violens. Hélas ! Ma chère, il fallait emprunter plutôt un peu du mien ; plutôt, c’est-à-dire, avant que vous eussiez abandonné le maniement de votre bien à ceux qui croyaient y avoir droit avant vous. Qu’importe que ce soit à votre père ? N’a-t-il pas deux autres enfans ? Et ne portent-ils pas plus que vous son empreinte et son image ? De grace, ma chère, ne me demandez pas compte d’une question si libre, de peur que mon explication ne fût aussi libre que la question même.

à présent que je me suis un peu échappée, passez-moi un mot de plus dans le même goût. Je serai décente, je vous le promets. J’aurais cru que vous n’ignoriez pas que lavarice et lenvie sont deux passions qu’il est impossible de satisfaire, l’une en donnant, l’autre en continuant d’exceller et de mériter de l’admiration. Huile au feu, qui produit, sur toute la face de la terre, des flammes dévorantes et insatiables.

Mais puisque vous me demandez mes avis, vous devez m’apprendre tout ce que vous savez ou tout ce que vous vous imaginez de leurs motifs. Si vous ne me défendez pas de faire des extraits de vos lettres, pour l’amusement de ma cousine, qui meurt d’envie d’être mieux informée de vos affaires dans sa petite île, on vous sera fort obligé de cette complaisance. Vous êtes si tendre sur les intérêts de certaines personnes qui n’ont de tendresse que pour elles-mêmes, qu’il faut vous conjurer de parler librement. Souvenez-vous qu’une amitié telle que la nôtre n’admet aucune réserve. Vous pouvez vous fier à mon impartialité. Ce serait faire injure à votre jugement que d’en douter ; car ne me demandez-vous pas mon avis ? Et ne m’avez-vous pas appris vous-même que l’amitié ne doit jamais inspirer de prévention contre la justice ? Il est donc question de justifier vos amis, si vous le pouvez. Voyons s’il y a du bon sens dans leur choix, ou s’il peut être soutenu du moins avec quelque apparence de raison. à présent, quoique je connaisse beaucoup votre famille, je ne puis m’imaginer comment tous, autant qu’ils sont, votre mère en particulier et votre tante Hervey, peuvent se joindre avec le reste contre des jugemens portés. à l’égard de quelques-uns des autres, rien ne peut me surprendre de leur part dans tout ce qui concerne leur intérêt propre. Vous me demandez pourquoi votre frère ne s’engage pas le premier dans les liens du mariage ? Je vous en apprendrai la raison. Son humeur emportée et son arrogance sont si connues, que, malgré ses grandes acquisitions indépendantes, et ses espérances encore plus considérables, aucune des femmes auxquelles il pourrait aspirer n’est disposée à recevoir ses soins. Souffrez que je vous le dise, ma chère, ces acquisitions lui ont donné plus d’orgueil que de réputation. à mes yeux, c’est la plus insupportable créature que je connaisse. La manière dont vous me blâmez de l’avoir traité, il la méritait de la part d’une personne à laquelle il croyait plutôt faire une faveur qu’il n’espérait d’en recevoir. J’ai toujours pris