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Comme il m’a proposé plusieurs fois Londres, je m’attendais qu’il embrasserait ardemment cette nouvelle ouverture. Mais je ne lui ai pas vu de disposition à la saisir. Cependant ses yeux m’ont paru l’approuver. Nous sommes de grands observateurs des yeux l’un de l’autre. En vérité, il semble que nous nous redoutions tous deux. Il m’a fait ensuite une proposition fort agréable ; celle d’inviter Madame Norton à se rendre auprès de moi. Mes yeux, m’a-t-il dit aussi-tôt, lui apprenaient enfin qu’il avait trouvé l’heureux expédient qui pouvait répondre à nos désirs communs. Il s’est reproché de n’y avoir pas pensé plus tôt : et, saisissant ma main, écrirai-je, mademoiselle ? Ferai-je partir quelqu’un ? Irai-je moi-même, vous chercher cette excellente femme ? Après un peu de réflexion, je lui ai dit qu’il ne pouvait rien me proposer de plus charmant ; mais que j’appréhendais de jeter ma bonne Norton dans des difficultés qu’elle aurait peine à vaincre ; qu’une femme si prudente craindrait de se déclarer pour une fille fugitive, contre l’autorité de ses parens ; et que le parti qu’elle prendrait de me suivre lui ferait perdre la protection de ma mère, sans qu’il fût en mon pouvoir de l’en dédommager. Ah ! Chère Clarisse, s’est-il écrié assez généreusement, que cet obstacle ne vous arrête point ! Je ferai pour cette bonne femme, tout ce que vous souhaiteriez de faire vous-même : souffrez que je parte. Plus froidement peut-être que sa générosité ne le méritait, je lui ai répondu qu’il étoit impossible que je ne reçusse pas bientôt quelques nouvelles de mes amis ; que dans l’intervalle je ne voulais ruiner personne dans leur esprit, sur-tout Madame Norton, dont la médiation et le crédit pouvaient m’être utiles auprès de ma mère ; et que d’ailleurs cette vertueuse femme, qui avait le cœur au-dessus de sa fortune, manquerait plutôt du nécessaire, que d’avoir obligation mal-à-propos aux libéralités d’autrui. Mal-à-propos ! A-t-il répliqué. Le mérite n’a-t-il pas droit à tous les bienfaits qu’il peut recevoir ? Madame Norton est une si honnête femme, que je me croirai redevable moi-même à sa bonté, si elle m’accorde la satisfaction de l’obliger ; quand elle ne l’augmenterait pas infiniment par l’occasion qu’elle me donnera de contribuer à la vôtre. Comprenez-vous, ma chère amie, qu’un homme qui pense si bien, puisse avoir laissé prendre assez de force aux mauvaises habitudes, pour avoir avili ses talens par ses actions ? N’y a-t-il donc aucune espérance, me suis-je dit alors à moi-même, que le bon exemple, qu’il m’appartient de lui donner, pour notre intérêt commun, puisse opérer un changement dans lequel nous trouverions tous deux notre avantage ? Permettez, monsieur, ai-je repris, que j’admire le singulier mêlange qui règne dans vos sentimens. Il doit vous en avoir coûté beaucoup pour étouffer tant de bons mouvemens, tant d’excellentes réflexions, lorsqu’elles se sont élevées dans votre esprit ; ou, par un autre excès qui n’est pas moins surprenant, la légèreté doit avoir merveilleusement prévalu. Mais, pour revenir à notre sujet, je ne vois aucune résolution à prendre avant que d’avoir reçu des nouvelles de mes amis. Hé bien, mademoiselle, je m’efforçais seulement de trouver, s’il m’eût été possible, quelque expédient qui vous fût agréable. Mais, puisque je n’ai pas le bonheur de réussir, aurez-vous la bonté de me dire quelles sont vos intentions ? Il n’y a rien que je ne vous promette