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il n’y eut de femme aussi pénétrante, aussi défiante que celle-ci. Cependant il est assez mortifiant pour un honnête homme d’être soupçonné. J’ajoute qu’en passant je pourrai voir Madame Greme, qui a eu un très-long entretien avec ma charmante. Si je savais ce qui en a fait la matière, et que, dès le premier moment de leur connaissance, l’une eût cherché à tirer avantage de l’autre, il me serait aisé d’inventer quelque moyen de les servir toutes deux sans me nuire à moi-même. C’est la manière la plus prudente de former des amitiés, qui ne sont même jamais suivies d’aucun regret, quand les personnes qu’on sert deviendraient capables d’ingratitude. D’ailleurs, Madame Greme est en correspondance de lettres avec la fermière, sa sœur. Il peut arriver de ce côté-là, ou quelque chose d’avantageux que je puis mettre à profit, ou quelque chose de fâcheux dont je puis me garantir. assurez-vous toujours une porte de derrière,

est une maxime que je n’oublie dans aucun de mes exploits. Ceux qui me connaissent ne m’accuseront pas d’être un homme fier. Je m’entretiens familièrement avec un valet, lorsque je me propose de l’engager à m’être utile. Les valets ressemblent aux soldats. Ils commettent toutes sortes de maux, sans mauvaise intention, et simplement, (les bonnes ames !) pour l’amour du mal même. Je redoute extrêmement cette Miss Howe. Elle a de l’esprit comme un diable, et tourné à la malice, dont elle ne demande que l’occasion. S’il arrivait qu’elle l’emportât sur moi, avec tous mes stratagêmes et l’opinion que j’en ai, je serais homme à me pendre, à me noyer, ou à me casser la tête d’un coup de pistolet. Pauvre Hickman ! J’ai pitié du sort qui l’attend avec cette virago. Mais c’est un imbécille, à qui je ne prétends pas donner plus de sens ; et, lorsque j’y pense, il me semble que, dans l’état du mariage, c’est une nécessité absolue, pour le bonheur des deux chers époux, que l’un soit un sot. J’ai traité autrefois cette matière avec Miss Howe. Mais il faut aussi que le sot soit persuadé qu’il l’est ; sans quoi la sottise opiniâtre déconcerterait souvent la sagesse. Avec le secours de Joseph, mon honnête agent, je me suis mis à couvert, autant que je l’ai pu, du côté de ce démon femelle.



M Lovelace à M Belford.

n’est-il pas cruel, que je ne puisse lier cette fière beauté par aucune obligation ? J’ai deux motifs pour m’efforcer de lui faire accepter de moi de l’argent et des habits : l’un est le plaisir réel que j’aurais de voir cette fille hautaine dans une situation plus commode, et de penser qu’elle aurait près d’elle, ou sur elle, quelque chose que je pusse dire à moi : l’autre, d’abattre sa fierté, et de l’humilier un peu. Rien ne rabaisse plus un esprit fier que les obligations pécuniaires ; et c’est par cette raison que j’ai toujours apporté beaucoup de soin à les éviter. Cependant il m’est arrivé quelquefois d’en avoir ; mais je maudissais la lenteur du temps jusqu’à mon quartier. J’ai toujours évité aussi les anticipations. C’est ce que Milord M appellerait manger son bled en herbe , et ce que je regarde comme une manière servile de tenir son bien de ses propres fermiers. à quelles insolences ne se croient-ils pas autorisés ? Moi, qui me crois en droit de