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et que j’en aie assez lu pour faire trembler de plus honnêtes gens que moi, je n’ai jamais pu comprendre ce que c’est que la grâce dont vous parlez, ni la manière dont ils expliquent ses opérations. Permettez donc que votre exemple soit d’abord mon appui sensible ; et qu’aulieu d’employer des termes que je n’entends pas encore, je renferme tout le reste dans cette espérance ". Je lui ai dit qu’il y avait quelque chose de choquant dans son expression ; et que j’étais surprise qu’avec son esprit et ses talens, il n’eût pas fait plus de progrès, du moins dans la théorie de la religion. Cependant son ingénuité m’a plu. Je l’ai exhorté à ne pas craindre de relire les mêmes livres, pour y puiser plus de lumières, qu’il ne manquerait pas d’y trouver, lorsqu’il y apporterait de meilleures intentions ; et j’ai ajouté que sa remarque sur la durée incertaine d’une réformation à laquelle on ne prendrait pas de goût, me paroissait juste ; mais que les goûts de cette nature ne commençaient véritablement qu’avec la pratique de la vertu. Il m’a juré, ma chère Miss Howe, l’indocile personnage m’a juré que ses résolutions étoient sincères. J’espère que je n’aurai point occasion, dans mes lettres suivantes, de contredire de si belles apparences. Quand je n’aurais rien à combattre de son côté, je serais bien éloignée d’oublier ma faute, et le tort que je me suis fait par mon imprudente démarche : mais il m’est si doux de voir luire quelque rayon d’espérance, où je n’appercevais que d’épaisses ténèbres, que j’ai pris la première occasion pour communiquer ma joie à une tendre amie, qui prend tant de part à tout ce qui m’intéresse. Cependant soyez sûre, ma chère, que ces agréables idées ne me feront rien relâcher de mes précautions. Non que j’appréhende plus que vous qu’il n’entretienne quelque vue injurieuse à mon honneur : mais il est homme à plusieurs faces ; et j’ai reconnu, dans son caractère, une instabilité qui me cause de l’inquiétude. Ainsi je suis résolue de le tenir aussi éloigné qu’il me sera possible, et de ma personne et de mes pensées. Que tous les hommes soient des séducteurs ou n’en soient pas, je suis sûre que M Lovelace en est un. De-là vient que je m’efforcerai toujours de pénétrer quel peut être son but, dans chaque proposition et dans chaque récit qu’il me fait. En un mot, dans toutes les occasions qui pourront me laisser du doute, mes plus heureuses espérances seront toujours accompagnées des plus grandes craintes. Je crois que, dans une situation telle que la mienne, il vaut mieux craindre sans sujet, que de s’exposer au danger sans précaution. M Lovelace est parti pour Windsor, d’où il se propose de revenir demain. Il a laissé deux de ses gens pour me servir pendant son absence. J’ai écrit à ma tante Hervey, dans l’espérance de l’engager à se joindre à ma mère, pour me faire obtenir mes habits, mes livres et mon argent. Je l’assure que, si je puis rentrer en grâce avec ma famille, en me réduisant à la simple négative pour tous les hommes qui pourront m’être proposés, et me voir traitée comme une fille, une nièce et une sœur, je persiste encore dans l’offre de me borner au célibat, et de rejeter tout ce qui ne sera point approuvé de mon père. Je lui insinue, néanmoins, qu’après le traitement que j’ai reçu de mon frère et de ma sœur, il serait peut-être plus à propos, pour leur intérêt comme pour le mien, qu’on me permît de vivre loin d’eux : j’entends à ma ménagerie, et je suppose