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Miss Clarisse Harlove à Miss Howe.

vendredi, 14 avril. Voici les circonstances d’une conversation dont je sors, avec M Lovelace, et que je dois nommer agréable. Il a commencé par m’apprendre qu’il venait d’être informé que mes amis ont abandonné tout d’un coup la résolution de me poursuivre, ou de me faire rentrer sous le joug ; et qu’il ne lui restait par conséquent que de savoir mes intentions, c’est-à-dire ce que je voulais faire, et ce que je voulais qu’il fît. Je souhaitais, lui ai-je dit, qu’il partît immédiatement. Lorsqu’on saurait dans le monde que je serais absolument indépendante de lui, on se persuaderait sans peine que les mauvais traitemens de mon frère m’ont forcée de quitter la maison paternelle ; et c’était une apologie de ma conduite que je pouvais faire avec justice, autant pour la justification de mon père que pour la mienne. Il m’a répliqué, avec beaucoup de douceur, que, si mes amis demeuraient fermes dans cette nouvelle résolution, il n’avait aucune objection à former contre mes volontés ; mais, qu’étant assuré en même temps qu’ils n’avoient pris ce parti que dans la crainte des malheurs où mon frère pouvait être entraîné par une aveugle vengeance, il était porté à croire qu’ils reprendraient leur premier dessein aussi-tôt qu’ils croiraient le pouvoir sans danger. C’est un risque, mademoiselle, a-t-il continué, auquel je ne saurais m’exposer. Vous le trouveriez vous-même étrange. Cependant, je n’ai pas plutôt appris leur nouvelle résolution, que je me suis cru obligé de vous en instruire, et de prendre là-dessus vos ordres. Je serais bien-aise, lui ai-je dit (pour m’assurer s’il n’avait pas quelque vue particulière), de savoir quel est votre propre avis. Il me serait aisé de vous l’expliquer, si je l’osais, si j’étais sûr de ne pas vous déplaire, si ce n’était pas rompre des conditions qui seront inviolables pour moi. Dites, monsieur, ce que vous pensez. Je suis libre d’y donner mon approbation ou de la refuser. Pour temporiser, mademoiselle, en attendant que j’aie le courage de parler plus haut, (le courage, ma chère ! Ne plaignez-vous pas M Lovelace de manquer de courage ?) je vous proposerai seulement ce que je crois le plus capable de vous plaire. Supposons, si votre penchant ne vous porte pas chez Miladi Lawrence, que vous fîssiez un tour du côté de Windsor. Pourquoi Windsor ? Parce que c’est un lieu agréable ; parce qu’il est à portée de Berkshire, d’Oxford, de Londres : de Berkshire, où Milord M est à présent ; d’Oxford, dans le voisinage duquel Miladi Lawrence fait sa demeure ; de Londres, où vous serez toujours libre de vous retirer, et où je pourrai moi-même, si vous l’exigez, choisir ma retraite pendant votre séjour à Windsor, sans être fort éloigné de vous. Cette ouverture ne m’a pas déplu. Je n’ai pas eu d’autre objection à lui faire que le désagrément de me voir trop loin de Miss Howe, à qui