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mauvaise volonté, dans laquelle il me confessa que lui et vos autres domestiques trouvaient beaucoup d’injustice. C’est par cette voie, je vous l’avoue, mademoiselle, que j’ai souvent fait tourner ses maîtres sur le pivot que je tenais à la main, sans qu’ils aient pu s’en défier. Mon agent, qui ne cesse pas de se donner pour honnête homme, et qui me rappelle toujours à sa conscience, s’est trouvé d’autant plus à l’aise, que je l’ai assuré continuellement de la droiture de mes vues, et qu’il a reconnu par lui-même que ses soins avoient prévenu plus d’un fâcheux accident. Ce qui a servi encore à me les rendre plus agréables, permettez que je le reconnaisse devant vous, mademoiselle, c’est que, sans votre participation, ils vous ont procuré constamment la liberté d’aller au jardin et au bucher, qu’on ne vous aurait peut-être pas laissée si long-temps. Il s’était chargé, auprès de la famille, d’observer toutes vos démarches ; et son attention était d’autant plus empressée, qu’elle servait à écarter tous les autres domestiques ". Ainsi, ma chère, il se trouve que, sans le savoir, j’avais obligation moi-même à ce profond politique. Je suis demeurée muette d’étonnement. Il a continué. " à l’égard de l’autre circonstance, qui vous a fait prendre, mademoiselle, une si mauvaise opinion de moi, je confesse ingénument que votre résolution de partir m’étant un peu suspecte, et la mienne étant de ne rien épargner pour vous soutenir dans votre première idée, la crainte de n’avoir pas assez de temps pour vous faire goûter mes raisons, m’avait fait ordonner à Léman d’éloigner tous ceux qui se présenteraient, et de se tenir lui-même à peu de distance de la porte ". Mais, monsieur, ai-je interrompu, comment vous est-il arrivé de craindre que je ne changeasse de résolution ? Je vous avais écrit, à la vérité, pour vous en informer, mais vous n’avez pas eu ma lettre : et comme je m’étais réservé le droit d’abandonner mon premier dessein, avez-vous pu savoir si ma famille ne s’était pas laissé fléchir, et si je n’avais pas de bonnes raisons pour demeurer ? " je serai sincère, mademoiselle. Vous m’aviez fait espérer que, si vous changiez de résolution, vous m’accorderiez une entrevue, pour m’en apprendre les motifs. Je trouvai votre lettre ; mais n’ignorant pas que vos amis étoient inébranlables dans leurs idées, et ne doutant pas néanmoins que vous ne m’écrivissiez pour suspendre votre résolution, et probablement pour éviter aussi l’entrevue, je pris le parti de laisser votre lettre, dans l’espérance de vous engager du moins à me voir : et n’étant pas venu sans quelque préparation, j’étais résolu, quelles que fussent vos nouvelles vues, de ne vous pas laisser retourner au château. Si j’eusse pris votre lettre, il aurait fallu s’en tenir à ces nouveaux ordres, du moins jusqu’à d’autres événemens : mais ne l’ayant pas reçue, et vous croyant bien persuadée que, dans une situation si désespérée, j’étais capable de rendre une visite à vos amis, je comptai absolument sur l’entrevue que vous m’aviez fait espérer ". Méchant esprit que vous êtes ! Lui ai-je dit, c’est mon chagrin de vous avoir donné l’occasion de prendre des mesures si justes pour abuser de ma foiblesse ! Mais est-il vrai que vous auriez poussé la hardiesse jusqu’à rendre visite à ma famille ? " oui, mademoiselle. J’avais quelques amis prêts à m’accompagner ;