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dans toi et tes camarades. Enfin, recueille cette morale de mon ennuyeuse discussion : " les petites friponnes qui n’ont pas de goût pour l’épreuve, doivent faire un choix qui réponde à leurs dispositions. Elles doivent honorer de la préférence de bons et sages mâles, qui ne sont point accoutumés à la ruse ; qui les prendront sur le pied qu’elles se donnent ; et qui, ne trouvant rien d’absolument mauvais dans eux-mêmes, ne se portent pas aisément à soupçonner les autres ". Tu vas me demander à présent ce que deviendra la belle, si la victoire ne se range pas sous ses étendards ? Que veux-tu ? Une fois subjuguée, comme tu sais, elle l’est pour toujours. C’est une autre de nos maximes libertines. Quelle source de plaisir, pour un ennemi du mariage, de vivre avec une fille du mérite de Clarisse, sans cette incommode formalité qui oblige les femmes à changer réellement de nom, et qui entraîne tant d’autres sujets de dégoût ! Mais si Clarisse est toujours divine, si Clarisse sort glorieuse de l’épreuve ? Eh bien ! Je l’épouserai alors, n’en doute pas. Je bénirai mon étoile, à qui j’aurai l’obligation d’une femme que je regarderai comme un ange. Mais ne me haïra-t-elle pas ? Ne refusera-t-elle pas peut-être… non, non, Belford. Dans les circonstances où nous sommes, c’est ce que je redoute le moins. Me haïr ! Et pourquoi haïroit-elle un homme qui ne l’en aimera que mieux après l’épreuve ? Ajoute que j’ai le droit de représailles à faire valoir. Ma résolution n’est-elle pas justifiée par celle qu’elle a de m’éprouver moi-même ? N’a-t-elle pas déclaré qu’elle veut attendre, pour notre mariage, de bonnes preuves de ma réformation ? Finissons cette grave et éloquente lettre. Toi-même, que je suppose dans les intérêts de la belle, parce que je n’ignore pas que mon très-digne oncle t’a prié d’employer l’influence qu’il te croit sur mon esprit, pour me persuader de courber la tête sous le joug nuptial, ne me permets-tu pas de tenter si je pourrai la réduire au rang des mortelles ; d’essayer si, dans cette fleur de jeunesse, avec tant de charmes, avec une santé si parfaite, elle est véritablement inflexible, et supérieure aux foiblesses de la nature ? Je veux commencer à la première occasion. Je veillerai sur tous ses pas ; j’observerai chaque moment, pour saisir celui que je cherche ; d’autant plus qu’elle ne m’épargne pas, qu’elle prend avantage de tout ce qui se présente pour me tourmenter, et qu’au fond elle ne me croit point, elle ne s’attend point à me trouver honnête. Si Clarisse est une femme, si Clarisse m’aime, je la surprendrai une fois en défaut. L’amour est un traître pour ceux qui le logent. L’amour au-dedans, Lovelace au-dehors, elle sera plus qu’une femme, ou moi bien moins qu’un homme, si je ne sors pas victorieux. à présent, Belford, tu es informé de mes desseins. Clarisse est à moi ; mais elle m’appartiendra plus encore. Quoique le mariage soit en mon pouvoir, qui me blâmera d’essayer si je ne puis être son vainqueur autrement ? Si je manque de succès, sa gloire n’en peut tirer qu’un nouveau lustre, et ma confiance sera parfaite à l’avenir. C’est alors qu’elle méritera le sacrifice que je lui ferai de ma liberté, et que tout son sexe lui devra des honneurs presque divins. Vois-tu maintenant toute la circulation de mon entreprise ? Tu dois la