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tournée vers moi ; les mains l’une sur l’autre, et les doigts en mouvement, comme si sa colère s’était communiquée jusqu’au bout. Ma sœur était sur une chaise, avec l’air d’une personne qui enfle. Mon frère a paru me regarder avec mépris, après m’avoir mesurée des yeux, à mon arrivée, depuis la tête jusqu’aux pieds. Ma tante, qui était aussi de l’assemblée, a jeté sur moi quelques regards contraints, et s’est baissée froidement vers moi pour répondre à ma révérence. Ensuite, d’un coup d’œil, adressé successivement à mon frère et à ma sœur, elle m’a semblé leur rendre compte de cette rigueur affectée. Bon dieu ! Ma chère, pourquoi vouloir employer la voie de la crainte, plutôt que celle de la douceur, avec un esprit qui n’a pas été regardé jusqu’à présent comme incapable de persuasion et de générosité ?

J’ai pris ma chaise. Ferai-je le thé, madame, ai-je demandé à ma mère. Vous savez, ma chère, que j’ai toujours été dans l’usage de faire le thé. Un, non, prononcé de la manière la plus courte, a été la seule réponse ; et ma mère s’est mise elle-même à faire le thé. Betty, la femme de chambre de ma sœur, était là pour servir. Mon frère lui a dit de se retirer, et qu’il servirait l’eau lui-même. Je me sentais le cœur dans un désordre extrême, et l’on devait s’en appercevoir à l’embarras de mes mouvemens. Quelle sera donc la suite, disais-je en moi-même. Bientôt ma mère s’est levée, et prenant ma tante par la main : un mot, ma sœur ; et sous ce prétexte, elles sont sorties ensemble. Ma sœur s’est dérobée aussi-tôt. Mon frère a suivi son exemple. En un mot, je suis demeurée seule avec mon père.

Il a pris un regard si sévère, que le cœur m’a manqué autant de fois que j’ai voulu ouvrir la bouche pour lui parler. Je crois avoir oublié de vous dire que tout le monde avait gardé jusqu’alors un profond silence. à la fin, j’ai demandé à mon père s’il désirait encore une tasse de thé. Il m’a répondu, par le même monosyllabe qui avait été la réponse de ma mère ; et s’étant levé, il s’est mis à se promener dans la chambre. Je me suis levée aussi, dans l’intention de me jeter à ses pieds ; mais j’étais trop consternée par la sévérité de son visage, pour hasarder ce témoignage même des sentimens dont mon cœur était comme étouffé. Il s’est approché du dos d’une chaise, où sa goutte l’a forcé de s’appuyer : j’ai repris un peu plus de courage. Je me suis avancée vers lui, et je l’ai supplié de m’apprendre en quoi j’avais eu le malheur de l’offenser.

Il a détourné la tête ; et d’une voix forte, il m’a dit : Clarisse, Clarisse, apprenez que je veux être obéi.

Dieu me préserve, monsieur, de manquer jamais à l’obéissance que je vous dois ! Je ne me suis jamais opposée à vos volontés… ni moi, Clarisse, à vos fantaisies, a-t-il interrompu. Ne me mettez point dans le cas de ceux qui ont marqué trop d’indulgence à votre sexe, en me contredisant pour prix de la mienne.

Vous savez, ma chère, que mon père, non plus que son fils, n’a pas une opinion trop favorable de notre sexe, quoi qu’il n’y ait pas sur la terre de femme plus complaisante que ma mère. J’allais lui faire des protestations de respect… je ne veux point de protestations, je n’écoute point de paroles, on ne m’amuse point par des discours, je veux être obéi. Je n’ai point d’enfant, je n’en aurai point qui ne m’obéisse. Monsieur, vous n’avez jamais eu sujet, j’ose le dire…

ne me dites point ce que j’ai eu, mais ce que j’ai, et ce que j’aurai.