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Je n’en doute point, cher ami. Je n’ose en douter. La religieuse vénération que j’ai pour elle me ferait trouver de l’impiété dans ce doute. Mais je te demande à mon tour, ne se peut-il pas que le principe de sa vertu soit l’orgueil ? De qui est-elle fille ? De quel sexe est-elle ? Si Clarisse est impeccable, d’où lui vient son privilége ? L’idée orgueilleuse de donner un grand exemple à son sexe peut l’avoir soutenue jusqu’à présent. Mais cet orgueil n’est-il pas abbattu ? Connais-tu des hommes ou des femmes qui soient capables de résister à l’infortune et à l’humiliation ? Humilie particulièrement une femme, et tu verras, avec très-peu d’exceptions, que l’abaissement passe jusqu’à l’ame. Miss Clarisse Harlove est-elle donc le modèle de la vertu ? Est-ce la vertu même ? Tout le monde en a cette idée, me répondra-t-on, tous ceux qui la connaissent, tous ceux qui ont entendu parler d’elle. C’est-à-dire que le bruit commun est en sa faveur. Mais le bruit commun établit-il la vertu ? La sienne est-elle éprouvée ? Où est l’audacieux qui ait osé mettre la vertu de Clarisse à l’épreuve ? Je t’ai dit, Belford, que je voulais raisonner avec moi-même ; et je me trouve engagé dans cette discussion sans m’en être aperçu. Poussons-la jusqu’à la rigueur. Je sais que tout ce qui m’est échappé jusqu’ici, et tout ce qui va sortir volontairement de ma plume, ne te paraîtra pas fort généreux dans un amant ; mais, en mettant la vertu au creuset, mon dessein n’est-il pas de l’exalter, si je l’en vois sortir pure et triomphante ? écartons, pour un moment, toutes les considérations qui peuvent naître d’une foiblesse à laquelle quelques-uns donneraient assez mal-à-propos le nom de gratitude , et qui n’est souvent propre qu’à corrompre un cœur noble. Au fait, cher ami. Je vais mettre ma charmante à la plus sévère épreuve ; dans la vue d’apprendre à toutes les personnes de son sexe que tu voudras instruire par la communication de quelques passages de mes lettres, ce qu’elles doivent être pour mériter l’estime d’un galant homme, ce qu’on attend d’elles ; et si elles ont à faire à quelque tête sensée et délicate (orgueilleuse, si tu veux), combien elles doivent apporter de soin, par une conduite régulière et constante, à ne pas lui donner occasion de juger désavantageusement de leur caractère, par des faveurs hasardées, qui seront toujours traitées de foiblesses. Une femme n’a-t-elle pas en garde l’honneur d’un homme ? Et ses fautes ne jettent-elles pas plus de honte sur un mari que sur elle-même ? Ce n’est pas sans raison, Belford, que j’ai toujours eu du dégoût pour l’état d’entraves. Au fait, encore une fois, puisque je suis tombé sur cette importante question : savoir, si je dois prendre une femme ; et si ce doit être une femme de la première ou de la seconde main ? L’examen sera de bonne foi. Je rendrai à cette chère personne, non-seulement une sévère, mais une généreuse justice ; car mon dessein est de la juger par ses propres règles, aussi bien que par nos principes. Elle se reproche d’être entrée en correspondance avec moi, c’est-à-dire avec un homme d’un caractère fort libre, qui s’est d’abord proposé de l’engager dans ce commerce, et qui a réussi par des moyens qu’elle ignore elle-même. Voyons : quels ont été ses motifs pour cette correspondance ? S’ils n’ont pas été d’une nature que sa délicatesse puisse trouver condamnable, pourquoi se les reprocher ?