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pas toujours avec la véritable politesse, à laquelle il craignait d’avoir manqué en voulant éviter des apparences de flatterie et d’hypocrisie, pour lesquelles il me connaissait beaucoup d’aversion ; que désormais je trouverais, dans toute sa conduite, le changement qu’on devait attendre d’un homme qui se reconnaissait d’autant plus honoré de ma compagnie, que personne n’avait plus d’admiration pour la délicatesse de mon esprit et de mes sentimens. J’ai répondu à ce compliment, que je lui devais peut-être des félicitations sur la découverte qu’il venait de faire, et que je le priais donc de ne plus oublier que la véritable politesse et la franchise doivent s’accorder toujours ; mais qu’un mauvais sort m’ayant jetée dans sa compagnie, je regrettais, avec raison, que cette connaissance lui fût venue si tard, parce qu’avec de la naissance et de l’éducation, il me paroissait étrange qu’elle eût pu lui manquer. Il ne croyait pas non plus, m’a-t-il dit, s’être conduit assez mal pour avoir mérité une réprimande si sévère. Peut-être lui faisais-je injustice, ai-je repliqué. Mais, s’il en était persuadé, mes reproches pouvaient lui servir à faire une autre découverte, qui tournerait à mon avantage : avec tant de raison d’être content de lui-même, il devait me trouver bien peu généreuse, non-seulement de ne pas paraître plus sensible à ce nouvel air d’humilité, par lequel il croyait peut-être se rabaisser, mais d’être prête en vérité à le prendre au mot. Comme il était en défense contre des traits auxquels il s’était attendu, sa haine pour la flatterie ne l’a point empêché de me répondre qu’il avait toujours admiré, avec une satisfaction infinie, mes talens supérieurs, et une sagesse qui lui paroissait étonnante à mon âge ; que, malgré la mauvaise opinion que j’avais de lui, il étoit disposé à trouver juste tout ce qui sortait de ma bouche ; et qu’à l’avenir, il ne se proposerait point d’autre règle que mon exemple et mes avis. Je lui ai dit qu’il se trompait, s’il me croyait capable des illusions ordinaires de l’amour-propre ; que, s’attribuant tant de franchise, il devait commencer par être fidèle à la vérité, lorsqu’il me parlait de moi-même ; et qu’en supposant d’ailleurs que je méritasse une partie de ses éloges, il n’en avait que plus de raison de s’applaudir de ses artifices, qui avoient précipité une jeune personne de mon caractère dans un si grand excès de folie. Réellement, ma chère, il ne mérite pas d’être traité avec plus d’égards. Et puis, n’est-il pas vrai qu’il a fait de moi une folle accomplie ? Je tremble qu’il ne le pense lui-même. Il était surpris de m’entendre. Il ne revenait pas de son étonnement. Quel malheur pour lui, de ne pouvoir rien dire, ni rien faire, qui me donnât une meilleure idée de ses principes ! Il me suppliait du moins de lui apprendre comment il pouvait se rendre digne de ma confiance. Je lui ai déclaré que rien n’était plus capable de m’obliger que son absence ; qu’il ne paroissait pas que mes amis fussent disposés à me poursuivre ; que, s’il voulait partir pour Londres, ou pour Berkshire, ou pour tout autre lieu, il ferait ce qu’il y avait de plus conforme à mes désirs, et de plus convenable à ma réputation. C’était son dessein, m’a-t-il dit, sa ferme résolution, aussi-tôt qu’il me verrait dans une retraite de mon goût, dans un lieu plus commode.