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patience, avant que je frappe le grand coup, si je me détermine à le frapper. Adieu, cher Belford.



Miss Clarisse Harlove, à Miss Howe.

jeudi au soir, 13 avril. Ma situation me donne le temps de vous écrire, et vous expose peut-être à recevoir un trop grand nombre de mes lettres. J’ai eu, avec M Lovelace, un nouveau débat, et des plus vifs, à la suite duquel est venue l’occasion que vous m’avez conseillé de ne pas négliger lorsqu’elle se présenterait honnêtement. Il est question de savoir si je mérite vos reproches ou votre approbation, pour l’avoir laissée sans effet. L’impatient personnage m’a fait demander plusieurs fois la liberté de me voir, pendant que j’étais à vous écrire ma dernière lettre, sans avoir rien de particulier à me dire, et pour me donner apparemment le plaisir de l’entendre. Il semble qu’il en prenne beaucoup lui-même à exercer la volubilité de sa langue, et que, lorsqu’il a fait sa provision de termes agréables, il ait besoin de mes oreilles pour l’écouter. Cependant il prend un soin superflu. Je ne lui fais pas souvent la grâce de louer son éloquence, ou d’en marquer autant de satisfaction qu’il le désire. Après avoir fini ma lettre, et dépêché l’homme de M Hickman, j’allais me retirer dans la chambre que j’occupe ; mais il m’a suppliée de demeurer, et d’entendre ce qu’il avait à me dire. Ce n’était rien d’extraordinaire, comme je viens de le remarquer, mais des plaintes, des reproches, d’un air et d’un ton qui m’ont paru approcher de l’insolence. Il ne pouvait vivre, m’a-t-il dit, s’il ne me voyait plus souvent, et si je ne le traitais pas avec plus d’indulgence. Là-dessus je suis entrée avec lui dans une chambre voisine, assez irritée, pour ne vous rien dissimuler ; d’autant plus, que je le voyais établi tranquillement dans cette maison, sans parler de son départ. Notre chagrine conférence a commencé aussi-tôt. Il a continué de m’irriter, et je lui ai répété quelques-uns des propos les plus ouverts que je lui eusse déjà tenus. Je lui ai dit particulièrement que d’heure en heure j’étais plus mécontente et de moi-même et de lui ; qu’il me paroissait de ces hommes qui ne gagnent pas à être mieux connus ; et que je n’aurais pas l’esprit en repos, tandis qu’il ne me laisserait pas à moi-même. Ma chaleur a pu le surprendre ; mais réellement il m’a paru tout-à-fait décontenancé ; hésitant, et n’ayant rien à dire pour sa défense, ou qui pût excuser ses airs impérieux, lorsqu’il n’ignorait pas que je vous écrivais, et qu’on attendait ma lettre. Enfin, dans mon ressentiment, je l’ai quitté avec précipitation, après lui avoir déclaré que je voulais être maîtresse de mes actions et de mon tems… sans être obligée de lui en rendre compte. Son inquiétude a paru fort vive, jusqu’à la première occasion qu’il a trouvée de me revoir ; et lorsque je n’ai pu me dispenser de le souffrir, il s’est présenté de l’air le plus humble et le plus respectueux. Il m’a dit que je l’avais fait rentrer en lui-même ; et que, sans avoir aucun reproche à se faire du côté de l’intention, il sentait que son impatience avait pu blesser ma délicatesse ; que, faisant profession d’une extrême franchise, il n’avait pas observé jusqu’aujourd’hui qu’elle ne s’accordait