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offrir les plus riches étoffes, et toutes les commodités de la ville. Je ne puis lui faire goûter cette proposition. Cependant mon agent m’assure que son implacable famille est résolue de lui causer toutes sortes de chagrins. Il paraît que ces misérables ont enragé de bon cœur, depuis le moment de sa fuite ; et qu’ils continuent d’enrager, grâces au ciel ; et que, suivant mes espérances, leur rage ne cessera pas si tôt. Enfin mon tour est venu ! Ils regrettent amèrement de lui avoir laissé la liberté de visiter sa volière, et de se promener au jardin. C’est à ces maudites promenades qu’ils attribuent l’occasion qu’elle a trouvée (quoiqu’ils ne puissent deviner comment) de concerter les moyens de fuir. Ils ont perdu, disent-ils, un excellent prétexte pour la renfermer plus étroitement, lorsque je les ai menacés de la secourir, s’ils entreprenaient de la conduire, malgré elle, à la citadelle de son oncle. C’était leur intention. Ils craignaient que, de son consentement, ou sans sa participation, je ne prisse le parti de l’enlever dans leur propre maison. Mais l’honnête Joseph, qui m’avait informé de leur dessein, me rendit un service admirable. Je l’avais instruit à faire croire aux Harloves que j’ai autant d’ouverture pour mes gens, que leur stupide aîné en a pour lui. Ils le crurent informé de tous mes mouvemens par mon valet-de-chambre ; et l’ayant chargé d’observer aussi sa jeune maîtresse, toute la famille dormit tranquillement, sur la foi d’un ministre si fidèle. Nous étions tranquilles avec un peu plus de raison, ma charmante et moi. Il m’était venu à l’esprit, comme je crois te l’avoir marqué alors, de l’enlever quelque jour dans le bucher, qui est assez éloigné du château. Cette entreprise aurait infailliblement réussi, avec ton secours et celui de tes camarades ; et l’action était digne de nous. Mais la conscience de Joseph, comme il l’appelle, fut d’abord un obstacle, qui se réduisit ensuite à lui faire craindre qu’on ne découvrît la part qu’il y aurait eue. Cependant je n’aurais pas eu plus de peine à lui faire surmonter ce scrupule qu’un grand nombre d’autres, si je n’avais compté, dans le même tems, sur un rendez-vous de ma belle, où je me promettais bien qu’elle ne m’échapperait pas ; et, dans d’autres tems, sur les bons offices même de la spirituelle famille, qui semblait travailler elle-même à la faire tomber dans mes bras. D’ailleurs j’étais sûr que James et Arabelle ne finiraient pas leurs folles épreuves et leurs persécutions, qu’à force de la fatiguer ils n’en eussent fait la femme de Solmes, ou qu’ils ne lui eussent fait perdre la faveur de ses deux oncles.


M Lovelace au même . Il me semble que j’ai beaucoup obligé ma chère compagne, en amenant Madame Greme pour l’accompagner, et en souffrant que, sur le refus qu’elle a fait d’aller à Médian, cette bonne femme se chargeât de lui procurer un logement. Elle observe sans doute que toutes mes vues sont honorables, puisque je lui laisse le choix de sa demeure. J’ai remarqué sensiblement le plaisir que je lui faisais, lorsque j’ai mis Madame Greme dans la chaise avec elle, et que j’ai pris le parti de l’escorter à cheval. Un autre se serait alarmé des explications qu’elle pouvait recevoir de Madame Greme. Mais, comme la droiture de mes intentions est connue