Page:Richardson - Clarisse Harlove, I.djvu/42

Cette page n’a pas encore été corrigée

bien, dans les circonstances, de supprimer ses visites. Cependant c’est la personne du monde, après ma mère, qui serait la plus propre à me persuader, si leurs projets étoient raisonnables, ou tels qu’elle pût les approuver. Ma tante s’étant échappée à dire aussi qu’elle ne croyait pas que sa nièce pût jamais prendre de goût pour M. Solmes, on l’a obligée d’apprendre une autre leçon. J’attends demain une visite d’elle. Comme j’ai refusé d’entendre de la bouche de mon frère et de ma sœur les articles du noble établissement, elle est chargée de m’informer de ce détail, et de recevoir ma détermination : car on m’a dit que mon père n’a pas même la patience de supposer que je puisse former la moindre opposition à sa volonté.

En même tems, on m’a signifié que, si je voulais faire plaisir à tout le monde, je n’irois pas à l’église dimanche prochain. On m’avait fait la même déclaration dimanche dernier, et je m’y conformai. On appréhende que M. Lovelace ne se trouve à l’église, dans le dessein de me ramener au logis.

Communiquez-moi, chère Miss Howe, un peu de votre charmant esprit ; jamais je n’en eus tant de besoin.

Vous supposez bien que ce Solmes n’a pas raison de vanter ses progrès auprès de moi. Il n’a pas le sens de dire un mot qui convienne aux circonstances. C’est à eux qu’il fait la cour. Mon frère prétend me la faire pour lui, comme son procureur ; et je refuse absolument d’écouter mon frère. Mais, sous prétexte qu’un homme si bien reçu et si bien recommandé par toute ma famille, a droit à mes civilités, on affecte d’attribuer ce refus à ma modestie ; et lui, qui ne sent pas ses propres défauts, s’imagine que ma réserve, et le soin que j’apporte à l’éviter, ne peuvent venir d’une autre cause ; car toutes ses attentions, comme je l’ai déjà dit, sont pour eux, et je n’ai pas même l’occasion de dire non, à un homme qui ne me demande rien. Ainsi, avec la supériorité affectée de son sexe, il semble moins embarrassé du succès, que de sa pitié pour la timidité d’une petite personne de mon âge.

25 février.

J’ai eu la conférence qu’on m’avait annoncée avec ma tante. Il a fallu entendre d’elle les propositions de l’homme, et les motifs qui leur donnent tant de chaleur pour ses intérêts. C’est à contre-cœur que j’observe seulement combien il y a d’injustice de sa part à faire de telles offres, et, de la part de ceux que je respecte, à les accepter. Je le hais plus qu’auparavant. On a déjà obtenu une terre considérable aux dépens des héritiers naturels, quoique fort éloignés ; je parle de celle que la marraine de mon frère lui a laissée ; et l’on se flatte à présent de l’espérance chimérique de s’en procurer d’autres, ou de voir du moins retourner la mienne à la famille. Cependant le monde, dans mes idées, n’est qu’une grande famille. était-ce autre chose dans l’origine ? Qu’est-ce donc que cette avidité de rapporter tout aux siens dans un cercle si étroit, si ce n’est favoriser une parenté dont on se souvient, au préjudice d’une parenté oubliée ? Mais ici, sur le refus absolu que j’ai fait de lui, à quelques conditions qu’il puisse se présenter, on m’a fait une déclaration qui me blesse jusqu’au cœur. Comment puis-je vous l’apprendre ? Mais il le faut. C’est,