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faveur, je n’ai qu’à jeter les yeux sur mon mémoire, pour m’endurcir autant qu’il sera convenable à mes vues. ô charmante Clarisse ! Rappelle bien ton attention. Retranche tes airs hautains. Si tu n’as que de l’indifférence pour moi, je ne crois pas que ta sincérité te puisse tenir lieu d’excuse. Je ne l’admettrai pas. Songe que tu es en mon pouvoir. Si tu m’aimes, ne crois pas non plus que les déguisemens affectés de ton sexe te puissent servir beaucoup, avec un cœur aussi fier et aussi jaloux que le mien. Souviens-toi d’ailleurs que tous les péchés de ta famille sont rassemblés sur ta tête. Mais, Belford ! Lorsque je vais revoir ma déesse, lorsque je me retrouverai sous les rayons brûlans de ses yeux, que deviendront toutes ces vapeurs, qui se forment de l’incertitude de mes idées et de la confusion de mes tyranniques sentimens ? Quelles que puissent être mes vues, sa pénétration m’oblige d’avancer à la sape . Rien ne doit manquer aux apparences. Elle sera ma femme, quand je le voudrai : c’est un pouvoir que je ne saurais perdre. Les premières études, quoique les mêmes pour tous les jeunes gens qu’on met au collége, font distinguer la différence de leur génie, et découvrir d’avance le jurisconsulte, le théologien, le médecin. Ainsi la conduite de ma belle me fera décider si c’est en qualité de femme qu’elle doit m’appartenir. Je penserai au mariage, lorsque je serai résolu de me réformer. Il sera temps alors pour l’un, dit la belle : moi, je dis pour l’autre. Où s’égare mon imagination ? C’est le maudit effet d’une situation, dans laquelle en vérité je ne sais à quoi m’arrêter. Je te communiquerai mes vues, à mesure qu’elles s’éclairciront pour moi-même. Je te dirai de bonne foi le pour et le contre. Mais il me semble qu’étant si loin de mon sujet, il est trop tard aujourd’hui pour y revenir. Peut-être t’écrirai-je tous les jours ce que l’occasion pourra m’offrir ; et je trouverai, par intervalles, le moyen de t’envoyer mes lettres. Ne t’attends pas à beaucoup d’exactitude et de liaison dans mon style. Il te suffit d’y reconnaître ma volonté suprême, et le sceau de ton chef.



Miss Howe à Miss Clarisse Harlove.

mercredi au soir, 12 avril. Votre récit, ma chère, ne me laisse rien à désirer. Vous êtes toujours cette ame noble qui ne mérite que de l’admiration ; supérieure au déguisement, à l’art, au désir même de diminuer ou d’excuser ses fautes. Votre famille est la seule au monde qui soit capable d’avoir poussé une fille telle que vous à de telles extrêmités. Mais je trouve de l’excès dans votre bonté pour ces indignes parens. Vous faites tomber sur vous le blâme, avec tant de franchise et si peu de ménagement, que vos ennemis les plus envenimés n’y pourraient rien ajouter. à présent, que je suis informée du détail, je ne suis pas surprise qu’un homme si hardi, si entreprenant… on vient m’interrompre. Vous avez résisté avec plus de force et plus long-temps… j’entends encore une mère jalouse, qui veut savoir de quoi je suis occupée. Votre ressentiment va trop loin contre vous-même. N’êtes-vous pas sans reproche dans l’origine ? à l’égard de votre première faute, qui est