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de mes peines, et de sa perversité. Tu te réjouiras avec moi de mon triomphe sur une femme si pénétrante et si réservée. Mais que dis-tu de cette fuite, de ce passage d’un amour à l’autre ? Fuir des amis qu’on était résolue de ne pas quitter pour suivre un homme avec lequel on était résolue de ne pas partir. Tu ne ris pas, Belford ? Dis-moi donc, connais-tu rien de si comique ? ô sexe ! Sexe ! Charmante contradiction ! Tiens, l’envie de rire me prend. Je suis forcé de quitter ma plume pour me tenir les côtés. Il faut que je me satisfasse, tandis que je suis dans l’accès. Ma foi ! Belford, je suis trompé si mes coquins de valets ne me croient fou. J’en viens d’appercevoir un qui a passé la tête à ma porte, pour voir avec qui je suis, ou quelle manie m’agite. L’impudent m’a surpris dans un éclat de rire, et s’est retiré en riant lui-même. Oh ! L’aventure est trop plaisante ! J’en veux rire encore… si tu pouvais te la représenter comme moi, tu serais forcé d’en rire aussi ; et je t’assure, mon ami, que si nous étions ensemble, nous en ririons une heure entière. Mais, vous, charmante personne ! N’ayez pas regret, je vous prie, aux petites ruses par lesquelles vous soupçonnez que votre vigilance a pu se laisser surprendre. Prenez garde d’en exciter d’autres qui pourraient être plus dignes de vous. Si votre monarque a résolu votre chute, vous tomberez. Quelle imagination, ma chère, de vouloir attendre, pour votre mariage, que vous soyez convaincue de ma réformation ! Ne craignez rien ; si tout ce qui peut arriver arrive, vous aurez à vous plaindre de votre étoile plus que de vous-même. Mais, au pis aller, je vous ferai des conditions glorieuses. La prudence, la vigilance, qui défendront généreusement la place, sortiront avec les honneurs de la guerre. Tout votre sexe et tout le mien conviendront, en apprenant mes stratagêmes et votre conduite, que jamais forteresse n’aura été mieux défendue, ni forcée plus noblement. Il me semble que je t’entends dire : quoi ! Vouloir rabaisser une divinité de cet ordre, à des termes indignes de ses perfections ? Il est impossible, Lovelace, que tu aies jamais eu dessein de fouler aux pieds tant de sermens et de protestations solennelles. C’est un dessein que je n’ai pas eu ; tu as raison. Que je l’aie même aujourd’hui, mon cœur, le respect que j’ai pour elle, ne me permettent pas de le dire. Mais ne connais-tu pas mon aversion pour toutes sortes d’entraves ? N’est-elle pas au pouvoir de son monarque ? Et seras-tu capable, Lovelace, d’abuser d’un pouvoir que tu dois… ? à quoi ? Nigaud. Oseras-tu dire à son consentement ? Mais ce pouvoir, me diras-tu, je ne l’aurais pas, si elle ne m’avait estimé plus que tous les autres hommes. Ajoute que je n’aurais pas pris tant de peine pour l’obtenir, si je ne l’avais aimée plus que toute autre femme. Jusques-là, Belford, nos termes sont égaux. Si tu parles d’honneur, l’honneur ne doit-il pas être mutuel ? S’il est mutuel, ne doit-il pas renfermer une mutuelle confiance ? Et quel degré de confiance puis-je me vanter d’avoir obtenu d’elle ? Tu sais tout le progrès de cette guerre ; car je ne puis lui donner un autre nom ; et je suis même fort éloigné de pouvoir la nommer une guerre d’amour. Des doutes, des défiances, des reproches de sa part ; les plus abjectes humiliations de la mienne ; obligé de prendre un air de réformation, que tous, autant que vous êtes, vous avez craint de me voir adopter sérieusement. Toi-même, n’as-tu pas souvent