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ceux qui sont offensés. Que ne donnerais-je pas pour me retrouver en droit de dire qu’on me fait injustice, et que je n’en fais à personne ; que les autres manquent à la bonté qu’ils me doivent, et que je suis fidèle à mes loix pour ceux à qui je dois du respect et de la soumission ? Je suis une misérable, d’avoir pu me résoudre à voir mon séducteur ! Quelque bonheur qui puisse m’arriver à présent, je me suis préparé une source de remords pour le reste de ma vie. Une autre inquiétude, qui ne me tourmente pas moins, c’est que chaque fois qu’il faut le revoir, je suis plus embarrassée que jamais de ce que je dois penser de lui. J’observe sa contenance. Je crois y découvrir des signes extrêmement profonds. Il me semble que ses regards signifient plus qu’ils n’avoient accoutumé. Cependant ils ne sont pas plus sérieux, ni moins gais. Je ne sais pas véritablement ce qu’ils sont ; mais j’y trouve beaucoup plus de confiance qu’auparavant, quoiqu’il n’en ait jamais manqué. Cependant je crois avoir pénétré l’énigme. Je le regarde à présent avec une sorte de crainte, parce que je connais le pouvoir que mon indiscrétion lui a donné sur moi. Il peut se croire en droit de prendre des airs plus hauts, lorsqu’il me voit dépouillée de ce qu’il y a d’imposant dans une personne accoutumée à se voir respecter, qui, sentant désormais son infériorité, se reconnaît vaincue, et comme soumise à son nouveau protecteur. Le porteur de cette lettre sera un porte-balle du canton, qui ne peut faire naître aucun soupçon, parce qu’on est accoutumé à le voir tous les jours avec ses marchandises. Il est chargé de la remettre à M Knolles, suivant l’adresse que vous me donnez. Si vous aviez appris quelque chose qui regarde mon père et ma mère, et l’état de leur santé, ou qui puisse me faire juger de la disposition de mes amis, vous auriez la bonté de m’en instruire en deux mots, du moins si vous pouvez être avertie que le messager attend votre réponse. Je crains de vous demander si la lecture de mon récit me fait paraître un peu moins coupable à vos yeux. Cl Harlove.



M Lovelace à M Belford.

mardi et mercredi, 11 et 12 avril. Tu veux que j’exécute ma promesse, et que je ne te dissimule rien de ce qui s’est passé entre ma déesse et moi. Il est vrai que jamais un plus beau sujet n’exerça ma plume. D’ailleurs, j’ai du temps de reste. Si j’en croyais toujours la dame de mes affections, l’accès me serait aussi difficile auprès d’elle, qu’au plus humble esclave auprès d’un monarque de l’orient. Il ne me manquerait donc que l’inclination, si je refusais de te satisfaire ; mais notre amitié, et la fidèle compagnie que tu m’as tenue au cerf-blanc, me rendraient inexcusable. Je te quittai, toi et nos camarades, avec la ferme résolution, comme tu sais, de vous rejoindre, si mon rendez-vous manquait encore ; pour nous rendre ensemble chez le sombre père des Harloves, demander audience au tyran, lui porter mes plaintes de la liberté avec laquelle on attaque mon caractère ; pour tenter, en un mot, par des voies honnêtes, de lui