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monde et que je ne prendrai pas d’autre engagement ; à moins que je ne sois assez méchant pour vous donner quelque véritable sujet de déplaisir. Je n’hésite pas, monsieur, à vous le confirmer, et dans les termes que vous m’allez dicter vous-même. De quelle manière souhaitez-vous que je m’explique ? Je ne désire, mademoiselle, que votre parole. Eh bien, monsieur, je vous la donne. Là-dessus, il eut la hardiesse (j’étais en son pouvoir, ma chère,) de me dérober un baiser, qu’il nomma le sceau de ma promesse. Son mouvement, fut si prompt que je ne pus l’éviter. Il y aurait eu de l’affectation à marquer beaucoup de colère. Cependant je ne pouvais être sans chagrin, en considérant à quoi cette liberté pouvait conduire un esprit si audacieux et si entreprenant. Il dût s’appercevoir que j’étais peu satisfaite. Mais, passant, d’un air qui lui est propre, sur tout ce qui était capable de le mortifier, c’est assez, c’est assez, très-chère Clarisse ! Je vous conjure seulement de bannir cette furieuse inquiétude, qui est un tourment cruel pour un amour aussi tendre que le mien. Toute l’occupation de ma vie sera de mériter votre cœur, et de vous rendre la plus heureuse femme du monde, comme je serai le plus heureux de tous les hommes. Je le quittai, pour vous écrire ma lettre précédente. Mais je refusai, comme je vous l’ai marqué, de l’envoyer par un de ses gens. La maîtresse de l’hôtellerie me procura un messager, qui devait porter ce qu’il recevrait de vous, à Madame Greme, concierge de Milord M dans son château de Hertfordshire. La crainte d’être poursuivis nous obligeant de partir le lendemain à la pointe du jour, c’était cette route qu’il voulait prendre, dans le dessein de changer le carrosse de son oncle, pour une chaise à deux cheveaux, qu’il avait laissée dans ce lieu, et qui était moins propre à faire découvrir notre marche. Je jetai les yeux sur le fond de mes richesses, et je ne trouvai dans ma bourse que sept guinées et quelque monnoie. Le reste de mon trésor consiste en cinquante guinées, qui font cinq de plus que je ne croyais posséder, lorsque ma sœur m’a reproché l’usage que je faisais de mon argent. Je les ai laissées dans mon tiroir, prévoyant peu que mon départ fût si proche. Au fond, la situation où je suis ne me présente que des circonstances choquantes pour ma délicatesse. Entr’autres, n’ayant point d’autres habits que ceux qui sont sur moi, et ne pouvant lui cacher que je vous faisais demander ceux que j’avais entre vos mains, je ne pus me dispenser de lui apprendre comment ce dépôt se trouve chez vous ; de peur qu’il ne s’imaginât que je pensais de longue main à partir avec lui, et que j’avais déjà fait une partie de mes préparatifs. Il aurait souhaité ardemment, me répondit-il, pour l’intérêt de ma tranquillité, que votre mère m’eût accordé sa protection ; et je crus remarquer, dans ce qu’il me dit là-dessus, qu’il parlait de bonne foi. Comptez, chère Miss Howe, qu’il y a quantité de petites bienséances auxquelles une jeune personne est forcée de renoncer, lorsqu’elle est réduite à souffrir un homme dans cette familiarité intime auprès d’elle. Il me semble que je pourrais donner à présent vingt raisons, plus fortes que je ne vous en ai jamais apporté, pour prouver qu’une femme un peu délicate ne doit regarder qu’avec horreur tout ce qui est capable de la conduire au précipice dans lequel on m’a fait tomber, et que l’homme