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pas persuadée vous-même que j’ai hasardé ma vie pour vous délivrer de l’oppression ? Cependant ma récompense, après tout, n’est-elle pas incertaine et précaire ? N’avez-vous pas exigé (loi dure, mais sacrée pour moi !) que le terme de mes espérances soit reculé ? Ne vous êtes-vous pas réservé le pouvoir d’accepter mes soins, ou de les rejeter entiérement s’ils vous déplaisent ? Voyez, ma chère ! De tous côtés, ma condition n’a fait qu’empirer. Croyez-vous qu’à présent il dépende de moi de suivre votre conseil, quand je croirais, comme vous, que mon intérêt m’oblige de ne pas différer la cérémonie ? Et ne m’avez-vous pas même déclaré, continua-t-il, que vous renonceriez à moi pour jamais, si vos amis faisaient dépendre votre réconciliation de cette condition cruelle ? Malgré de si rigoureuses loix, j’ai le mérite de vous avoir sauvée d’une odieuse violence. Je l’ai, mademoiselle, et j’en fais ma gloire, quand je devrais être assez malheureux pour vous perdre… comme je n’observe que trop que j’en suis menacé, et par le chagrin où je vous vois, et sur-tout par la condition sur laquelle vos parens peuvent insister. Mais je répète que ma gloire est de vous avoir rendue maîtresse de vous-même. C’est dans cette qualité que j’implore humblement votre faveur, aux seules conditions sous lesquelles j’en ai formé l’espérance ; et je vous demande pardon, avec la même humilité, de vous avoir fatiguée par des explications qu’un cœur d’aussi bonne foi que le mien n’aurait pu renfermer sans une extrême violence. Le fier personnage avait mis un genou à terre, en prononçant la fin de son discours. Ah ! Levez-vous, monsieur, me hâtai-je de lui dire. Si l’un des deux doit fléchir le genou, que ce soit celle qui vous a tant d’obligation. Cependant je vous demande en grâce de ne pas continuer sur le même ton. Vous avez pris sans doute beaucoup de peine en ma faveur ; mais si vous m’aviez fait plutôt connaître que vous vous proposiez des récompenses aux dépens de mon devoir, je me serais efforcée de vous l’épargner. Quoique je ne pense à rien moins qu’à diminuer le mérite extraordinaire de vos services, vous me permettrez de vous dire que, si vous ne m’aviez pas engagée, malgré moi, dans une correspondance où je me suis toujours flattée que chaque lettre serait la dernière, et que je n’aurais pas continué si je n’avais cru que vous aviez reçu de mes amis quelques sujets de plainte, il n’aurait jamais été question pour moi ni d’emprisonnement ni d’autres violences, et mon frère n’aurait pas eu de fondement sur lequel sa mauvaise volonté pût s’exercer. Je suis fort éloignée de croire que, si j’étais demeurée chez mon père, ma situation fût aussi désespérée que vous vous l’imaginez. Mon père m’aime au fond du cœur. Il ne me manquait que la liberté de le voir, et celle de me faire entendre. Un délai était la moindre grâce que je me promettais de l’épreuve dont j’étais menacée. Vous vantez votre mérite, monsieur. Oui, que le mérite fasse votre ambition. Si je me laissais toucher par d’autres motifs, au désavantage de Solmes ou en votre faveur, je n’aurais que du mépris pour moi-même : et si c’était par d’autres vues que vous vous crussiez préférable au pauvre Solmes, je n’aurais que du mépris pour vous. Vous pouvez vous glorifier d’un mérite imaginaire, pour m’avoir fait quitter la maison de mon père : mais je vous le dis nettement, la cause